A travers un récit teinté de nostalgie, Nozière réveille nos propres souvenirs de jeunesse. Lire cet ouvrage revient à croquer dans la " madeleine " de Proust : la chaleur de l'été, une rencontre déterminante, le désir de grandir, de s'accomplir, les premières filles
ces images, mirages oubliés, rejaillissent en un instant devant nos yeux. On ne peut rester insensible devant le personnage de Justin, jeune adolescent arrivé de nulle part, qui va bouleverser la vie tranquille d'un petit village de l'est de la France ; frondeur et passionné de voyages, il a des airs au poète Rimbaud, dont il cite d'ailleurs quelques vers. Le contraste saisissant entre sa manière de s'exprimer (argotique, parfois vulgaire) qui porterait à croire qu'il n'est qu'un voyou dénué de toute éducation, et la possession d'une vaste culture historique et littéraire, laisse songeur. Il rappelle également le Grand Meaulnes d'Alain Fournier : sa haute stature, impressionnante pour un garçon de son âge, son côté chef de bande, capitaine mystérieux et imprévisible, toujours en quête d'aventures nouvelles. Sa personnalité foncièrement ambiguë intrigue. Qu'il se montre ange séducteur ou démon tentateur et manipulateur, il n'a pourtant aucune tendance à la cruauté, bien au contraire. Sa sensibilité, doublée d'une laideur pathétique touche le lecteur au plus haut point. Fasciné par une beauté dont il sait qu'il ne possédera jamais les atours, esclave d'une apparence qui lui ferme les portes de l'amour, c'est un garçon profondément torturé que nous décrit Nozière. D'où l'intérêt porté au thème de la différence, dont on sait les souffrances qu'elle engendre, particulièrement pendant l'adolescence. Néanmoins, l'auteur ne nous brosse pas le portrait pessimiste et désabusé d'un jeune garçon voué à l'échec. Là n'est pas son but. L'été 58, c' est aussi l'histoire d'une amitié (celle de Pierre et Justin), qui, bien que l'on ait des difficultés à en cerner les contours, s'avère somme toute réelle et sincère. En effet, on ne peut croire un seul instant que Justin ne fréquente Pierre que pour le pervertir, que le rapport établit avec ce dernier se réduise à une relation de dominant à dominé : l'un étant le meneur orgueilleux et égocentrique, l'autre le gamin candide et bien élevé. Cette interprétation serait trop simpliste, voire erronée. Cette amitié qui, au premier abord semble unilatérale est en fait plus complexe que ce qu'elle veut bien laisser croire. Elle est initiation , émancipation, mue, apprentissage pour Pierre mais elle est aussi parallèlement décloisonnement, ouverture à l'autre et leçon de fidélité pour Justin
Par ailleurs, la métamorphose de Justin, devenu un homme le temps d'une soirée de bal, prouve que rien n'est irréversible. Elle donne également, en filigrane, une leçon de tolérance et de relativité. Le bonheur éprouvé par Justin (face à l'étonnement général), qui retrouve une mère le temps de quelques valses, apporte au récit une note finale d'espoir teintée de joie.
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