Les contes de Poe ont été tout d'abord été publiés sous le titre original Contes du Grotesque et de l'Arabesque puis traduits par Baudelaire, ils ont pris leur titre définitif d'Histoires extraordinaires. Cependant le terme d'extraordinaire ne doit pas ici être compris dans son sens originel à savoir celui de l'invention de faits, de personnages et de spectacles insolites imaginés pour produire un effet de surprise. Ici, en effet, ce n'est plus intervention fantaisiste qui nous séduit mais c'est la psychologie qui nous domine. L'extraordinaire ne s'accomplit plus dans la nature mais en nous-mêmes, sous l'influence d'événements que nous tenons cependant pour normaux. C'est la combinaison qui à notre insu cesse d'être normale, influe sur notre esprit, le saisit et l'entraîne en dehors de l'ordinaire dans l'extra-ordinaire. Nous devenons ainsi à cause du trouble produit par l'écrit, les collaborateurs inconscients de l'auteur. Et dans ce cas tout l'art du conteur consiste à créer en nous ce singulier état psychologique, à nous y conduire graduellement par une subtile déviation du vraisemblable à l'extraordinaire. Il nous invite à réfléchir sur cette dérivation, à nous installer dans un ordre substitué à celui où nous vivons. Mais il nous en refuse l 'explication jusqu'au moment choisi. Poe demeure le maître absolu, il tire les ficelles, possède les moyens de nous troubler ou bien de nous rassurer. Il nous convie à chercher avec lui l'origine de notre malaise. Il se plaît à nous laisser croire que nous approchons de la solution par notre propre ingéniosité sans jamais nous le permettre entièrement. On conçoit dès lors que les faits, les personnages, les spectacles qui sont l'essentiel du conte fantastique, ne sont ici qu'accessoires. L'intérêt essentiel sera dans le conflit psychologique entre l'auteur et nous, lui dans sa tentative d'emprise et nus dans la défense que nous lui opposerons. Nous sommes ici en présence d'un art intérieur.
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