Si Cervantès est un mythe, Don Quichotte est à lui seul une vaste littérature. D'un côté un auteur dont la reconnaissance ne fut pas immédiate - il a 57 ans lorsque paraît la première partie de Don Quichotte -, qui publia des romans et des nouvelles, mais aussi des poèmes, et se risqua au théâtre. De l'autre, un livre inépuisable qui vient d'être l'objet d'une nouvelle et remarquable traduction. Premier best-seller de l'histoire de l'édition, Don Quichotte apporte aussi une véritable critique du roman moderne. Cervantès, virulent pamphlétaire et moraliste profond, ne se contente pas de puiser dans la thématique alors à la mode de l'illusion et de la réalité. Il sait innover. Dans son rapport vertical au monde, fait de gravité intérieure et de fantastique, il nous donne une leçon fondamentale : les livres peuvent changer la vie. Don Quichotte est encore davantage que l'un des sommets de la littérature occidentale. A l'instar de L'Odyssée d'Homère, des tragédies de Shakespeare, de La Chanson de Roland ou de L'Enfer de Dante, ce récit de Cervantès donne son statut à la langue dans laquelle il est écrit, et fait de son personnage principal une figure mythique universelle. Don Quichotte a quitté les pages du roman de Cervantès depuis longtemps. Il a navigué sans attaches, de siècle en siècle, jusqu'à nos jours où le nom est entré dans le dictionnaire des noms communs. Là, le chevalier errant a perdu sa singularité. On dit aujourd'hui : "jouer les don Quichottes". Plus universel tu meurs, aurait peut-être commenté Sanch !.
Mais à force de se démultiplier, l'image s'est décharnée comme si elle avait pris modèle sur le personnage lui-même, sec de corps et maigre de visage. Tous les os de la figure squelettique ont été sucés. Tour Eiffel de la littérature espagnole, flanquée de son ombre courte et pansue, elle s'est laissée reproduire à l'infini sur les assiettes, les foulards et les plats à barbe. On ne compte plus les peintures, aquarelles et dessins inspirés de Don Quichotte. Des spectacles de danse, des pièces de théâtre ou encore des morceaux de musique portent son nom et représentent ses péripéties.
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