Extrait du roman de Bober

Toujours assis sur la même marche du perron, avec Louba nous avons encore parlé un moment. Je posais peu de questions. "Les enfants, m'a dit Louba, les petits enfants surtout, sont des êtres curieux et disponibles. Le bond d'une sauterelle, une fourmi transportant un brin d'herbe, les petits points dessinés sur le dos des coccinelles suffisent à leur bonheur. Beaucoup d'enfants ici ont perdu le goût de cette curiosité. Nous sommes là aussi pour les aider à retrouver ce goût." A une question sur David, elle a encore dit : "Non, il ne se révolte pas. Il ne se révolte pas parce qu'il n'y a pas encore de colère en lui. Il n'y a que du chagrin." L'histoire de David, je ne peux pas l'écrire. Pas encore. Je note seulement ce dont je me souviens et ce que je comprends, et je ne comprends pas tout. ("Toi, Joseph, tu vas comprendre toutes ces choses très vite.", m'avait pourtant dit Louba.) Plus tard lorsque je connaîtrais les mots exacts, j'écrirai l'histoire de David. Peut-être, un jour, les mots se mettront d'eux-mêmes à leur place. Peut-être aussi ne pourrais-je jamais écrire son histoire. Ce soir-là, j'ai seulement fait ce que Louba m'a dit de faire. Je n'ai pas allumé dans le couloir qui conduisait à la chambre ronde. Je me laissais guider par la petite lumière qui brillait sur les cinq petits garçons endormis. Je me suis penché au dessus du lit de David. Sa main droite, glissée sous l'oreiller, adoucissait sa nuit. Ses joues portaient la trace de larmes pas encore sèches.

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