Christian Grenier est né à Paris en 1945. Il découvre la science-fiction en 1968 et se spécialise dans ce qu'il tente d'imposer comme genre littéraire vis à vis des éditeurs. Professeur dans un collège parisien, il anime des clubs d'astronomie, de science fiction, de théâtre. Le prix qu'il obtient en 1972 pour son 3ème roman marque le début d'une carrière consacrée en priorité à la science fiction. Il exploitera ce genre dans de nombreux domaines : albums, nouvelles, théâtre, BD, dessins animés (Les Mondes Engloutis), contes, essais... En 1981 il dirige la série SF de la collection Folio Junior.. Depuis 1990, Christian Grenier a quitté Paris et l'enseignement pour vivre dans le Périgord où il se consacre à l'écriture. Il rencontre ses jeunes lecteurs et assure occasionnellement des conférences sur la science-fiction dans diverses universités et centres de formation des bibliothécaires.
Public : Quels sont les événements qui influencent votre écriture ?
Christian Grenier: On ne peut pas nier l'influence de la réalité. C'est pourquoi la plupart du temps, je ne cache pas (ou peu) les lieux, personnes ou événements qui me marquent. Ainsi, mes personnages s'appellent souvent Sophie ou Sylvain, comme mes enfants, de même que Pascal et Dorothée, de La guerre des poireaux, sont deux de leurs amis d'enfance. Mais l'histoire que je raconte dans Le Moulin de la colère est sans conteste l'une des plus véridiques. Le drame familial auquel j'avais assisté ne pouvait pas me laisser indifférent, alors je l'ai exprimé par l'écriture . Ecrire, pour moi, c'est retrouver une ambiance du passé voire de l'enfance, quitte à l'amplifier ou la modifier au gré de son imagination et de ses goûts. Quand on est écrivain, on saisit les souvenirs de sa famille ou de ses collègues. C'est une sorte de clin d'oeil.
Public: Vos lectures d'enfance ont donc dû vous influencer aussi...
Christian Grenier: Je ne pense pas. En tout cas, elles n'ont rien à voir avec le fait que j'écris aujourd'hui "pour" les enfants. Ce que je lis en général, c'est par plaisir. A ce propos, les livres de Christian Léourier, René Gouijou, Jacques Linel ou Thierry Lenain m'enthousiasment particulièrement. Quand j'étais directeur de la collection "Folio-Junior, science-fiction", j'ai enfin pu renouer avec la lecture à part entière et publier (ou rééditer) des ouvrages qui méritaient, je crois, l'attention d'un jeune public. En ce qui concerne l'écriture, il faut néanmoins reconnaître qu'on subit toujours l'influence des autres. C'est d'ailleurs un peu dans le but de partager des idées que la Charte s'est créée. Car même si les auteurs de littérature pour la jeunesse sont tous différents, ils ont en commun la même question sur les lèvres: "Qu'est-ce qui fait notre spécificité, [...] malgré la diversité de nos origines, de nos écritures, de nos intentions [...]?" La Charte est une source bouillonnante d'idées, et l'écrivain n'est qu'un pirate qui les pille et les vole au gré de sa fantaisie créatrice.
Public : Puisque vous évoquez la Charte, quelle position pensez-vous qu'un auteur de littérature pour la jeunesse doit accorder à l'enfant et à l'enfance en général ?
Christian Grenier: Ce n'est pas parce qu'on écrit des histoires dont les personnages ont douze ou treize ans qu'elles s'adressent nécessairement à un jeune public. Ce genre de héros est un prétexte pour accorder un regard souvent innocent, curieux et impitoyable sur notre société. Je pense d'ailleurs que ce qui fait la particularité des auteurs de la Charte, c'est le fait qu'ils s'inscrivent dans une enfance qui ne les a jamais quittés. En cela, je les distingue des auteurs qui "affirment s'adresser aux enfants" et de ceux qui, comme Michel Tournier Ou J.M.G. Le Clézio, "partent en quête d'une enfance à jamais perdue". Je ne les condamne certes pas, mais pour moi, ces auteurs sont des adultes qui ont perdu le contact de l'enfance, qui fait partie de leur passé. Alors qu'en cultivant la leur, les auteurs de la Charte s'y attardent et en conservent les principales valeurs, dont celle de vouloir devenir adulte3. Ce n'est donc pas pour autant qu'ils s'adressent exclusivement à des enfants.
Public :
Mais ne prenez-vous pas le lecteur en compte quand vous écrivez ?
Christian Grenier: J'aurais tendance à dire que j'écris en faisant abstraction du lecteur. Mais ce n'est jamais vrai. Généralement, on se fixe un objectif dans l'écriture. Le mien, c'est de déranger le lecteur pour l'éveiller au monde qui l'entoure. J'essaie aussi d'instaurer un dialogue avec lui. Ce doit être un héritage de mon passé d'enseignant. J'ai besoin de maintenir un lien avec les jeunes, de connaître leurs réactions, leurs préoccupations. Si certains auteurs n'en éprouvent pas la nécessité, moi j'ai besoin de leur regard et de leur franchise pour savoir ce que je vais écrire.
Public :
Cela signifierait-il qu'en instaurant le dialogue littéraire avec les jeunes, vous cherchez à leur transmettre des valeurs?
Christian Grenier: Pour moi, l'homme est perfectible . Communiquer avec l'enfant, c'est assurer l'avenir de notre société. Le passé ne peut être changé, alors autant élaborer des systèmes utopiques qui modifieront peut-être le futur. La science fiction est un moyen infaillible d'atteindre ce but : en montrant des sociétés qui évoluent, on peut éviter que le monde se fige. Ce que j'ai envie de transmettre à mes lecteurs, c'est que pour sauver et vaincre le monde, il faut y entrer et s'y battre, sans jamais fuir . C'est dans ce sens que j'ai écrit La machination, ou encore Le Coeur en abîme . Je veux mettre en valeur ce que Christian Léourier appelle un certain "triomphe de la raison sur l'ambition, la superstition [et] l'avidité" .
Public : Où vous situez-vous dans la littérature de jeunesse ?
Christian Grenier: Je manifeste un goût inconditionnel pour l'aventure. En ce sens, je ne me définirais certainement pas comme un écrivain avec une oeuvre, mais plutôt comme un romancier qui imagine des histoires. Quant à ma qualification d'auteur de littérature pour la jeunesse, si elle n'a pas été volontaire, je la revendique. Elle est sans doute venue avec le renouveau de cette littérature dans les années 1970. Il faut dire que la science fiction y est également pour beaucoup. Une demande s'est accrue dans ce genre, notamment après la mission Appollo de 1969. Je crois avoir eu la chance de m'être trouvé là au bon moment.