CHAILLOU MICHEL (1930-)*

Né à Nantes en 1930, Michel Chaillou tente, par le biais d’une écriture baroque, de renouveler la technique du roman en lui annexant des disciplines ou des genres qui lui sont étrangers: histoire, biographie, théâtre. Dans cet univers romanesque, érudit et poétique tout ensemble, les lois de l’imaginaire, confondues avec le "génie" de la langue, secondent l’investigation historique. Une habile archéologie de la mémoire y rend contemporains passé individuel et passé collectif. Sous le prétexte d’une histoire de la flânerie, c’est une véritable histoire de l’imaginaire que nous propose ainsi Michel Chaillou. Déjà dans son premier récit paru en 1968, Jonathamour, se manifeste cette volonté de mêler tous les niveaux de conscience: le narrateur y rêve sa vie et vit son rêve. Les textes suivants transporteront d’emblée le lecteur dans une dérive mentale conviant la mémoire à des pérégrinations historiques. Cet art d’actualiser le passé se conjugue à un véritable travail d’érudit qui nourrit l’ambitieux projet de rédiger "le livre de raison du monde moderne". Point d’ancrage privilégié: le XVIIIe siècle, comme en témoigne cette anthologie, La Petite Vertu, ou Huit Années de prose courante sous la régence (1980), qui plonge dans le quotidien le plus concret d’une époque révolue et tient la gageure d’en restituer des aspects aussi évanescents que, par exemple, les odeurs. Ce miracle incombe à la saveur d’une langue à laquelle Michel Chaillou, lui-même inventeur du "chitien" dans Collège Waserman (1970), voue un culte fervent. Chacun de ses ouvrages confirme l’idée que les mots sécrètent leur matière et que la langue est le terreau de l’histoire. Cette appréciation sensuelle du monde et du texte dénote une indéniable parenté avec l’auteur des Essais, dont il évoque le souvenir dans Domestique chez Montaigne (1983), adoptant une allure digressive "à sauts et à gambades" dans une narration qui reflète l’exubérance de la vie et "oublie son projet au profit de l’hécatombe de l’heure".

Obsédé par les liens étroits entre histoire, géographie et phénomènes linguistiques, Michel Chaillou propose, avec Le Sentiment géographique, une relecture originale de L’Astrée, épousant les rythmes d’une promenade réelle sur les bords du Lignon. Les reliefs du terroir s’inscrivent en filigrane de ce texte fameux. On est ici en présence d’une déambulation savante à travers terres et dialectes, ces "lieux-dits" où affleurent les couches géologiques du temps, selon une démarche littéraire dont procédera Domestique chez Montaigne. Surgi de l’idée que dans tout grand roman se cache la trame d’une pastorale, et que "toute rêverie apporte sa terre", Le Sentiment géographique (1976) est surtout prétexte à un travail de la phrase et de la métaphore développé par la suite dans Le Rêve de Saxe (1986). Née de la puissance suggestive d’un nom, cette autobiographie intellectuelle d’un rêve constitue le second volet d’une recherche sur le vocabulaire du XVIIIe siècle et plus particulièrement sur la langue amoureuse. La voix des morts s’y fait entendre, cette oralité livrée à l’oubli que Michel Chaillou, à chaque étape de son parcours, se donne pour but de ressusciter. Dans ses derniers romans, à tonalité fortement autobiographique, La Croyance des voleurs (1988) et Mémoires de Melle (1993), elle est également le moyen d’un retour au monde fabuleux de l’enfance.

* d'après Universalis 5

Pour des renseignements sur l’auteur, nous vous proposons une bibliographie détaillée et une interview de Milchel Chaillou

Mis à jour le 10/07/03 - Mise en page Maud MERIEUX