Les résonances en musique

Introduction

La musique ne semble prendre forme que parce que les sons résonnent… Mais en quoi consiste cette notion de résonance, simple à première vue, en réalité très complexe ? En terme purement physique, la résonance est une forme d’excitation entre deux corps en vibration. En musique, on la ramène plus simplement à la transitoire d’extinction d’un son, à la faculté que possèdent les sons d’emplir un espace – une caisse de résonance –, à la réverbération rendue possible par la salle.

Dans le cadre de leurs cours de « Culture du musicien » ou de « Méthodologie de l’écrit », les étudiants de DUMI 1ère année, DUMI 2e année et de Master 1ère année PMTDL ont réfléchi à différents sujets ou répertoires entretenant un lien étroit avec l’une des significations de la résonance. Ils ont réalisé soit des notices de concert, soit un dossier de presse – qui s’inscriraient dans un festival fictif nommé « La-ré Zonance » ayant lieu à Lyon au début de l’été –, soit encore un article sur un sujet précis. Nous attirons alors l’attention du lecteur sur le caractère simulé de certains de ces travaux qui font revivre de manière improbable des interprètes disparus dans un lieu, lui, bien réel. Par ailleurs, les différents textes sont ici jalonnés de quelques définitions et éclaircissements de notions ou de sujets en lien avec la résonance.

La première partie s’attachera à évoquer différents espaces résonants : de celui des églises et de ses pots acoustiques (Clément Lamy), de la carrière où Chick Corea a donné ses concerts (Arthur Nicolas) aux paysages et ambiances sonores, qu’ils soient résonance de la ville de Lyon (Lionelle Nouck-Nouck), communications d’Arvo Pärt (Éléonore Masson), musique ambient (Emiliano Germain) ou même Dark Ambient (Nathan Brunet).

Néanmoins, les résonances sont souvent d’essence organologique : la deuxième partie commence par évoquer quelques instruments de la résonance, comme la voix (Clément Danyach), le piano dévoilé par Keith Jarrett à l’écoute bien particulière (Paul Baillieux), le célesta et sa sonorité cristalline  présent dans la célèbre Danse de la fée Dragée (Clara Planus). Rapidement, on s’aperçoit que les résonances se modifient selon les cultures et les géographies. Le flamenco (Maxime Fandos), les chœurs bulgares (Louis Midelet et Aymeric Cernize) ou la musique persane (Loïc Gros) proposent des vibrations particulières qui ont pu d’ailleurs enrichir nos modèles de résonance plus classiques. Dernier exemple de résonance organologique, l’amplification crée un espace et des réverbérations spécifiques, telles celles que Jimi Hendrix propose par le biais d’un jeu virtuose de pédales et d’effets (Alison Berthet).

Enfin, laissant une grande part au numérique, la musique d’aujourd’hui soulève de nouvelles interrogations : le numérique ferait-il disparaître tout effet de résonance ? Emiline Juilleret Cointet s’y est intéressée, dans son article consacré à la musique actuelle populaire, tandis que des exemples détaillés par Amélie Casail (sur Holly Herndon) et Mélina Cordier (sur l’association du gamelan et de la musique électronique) viennent étayer le propos.

Ne prétendant aucunement à l’exhaustivité, ce dossier répond ainsi modestement à certaines interrogations abordés en cours, et que tout musicien ou mélomane ont pu se poser.

Muriel Joubert

1ère partie : Les espaces résonants

1.1. La résonance acoustique des lieux : une vraie science

Pots acoustiques et architectures religieuses (article), par Clément Lamy

Pots acoustiques et résonance dans les églises

Figure 1 – Pommiers-en-Forez, église prioriale, pots acoustiques dans la voûte de la nef

Les pots, poteries ou vases acoustiques sont des dispositifs mis en place dans des lieux clos, généralement les églises, afin d’influer sur leur configuration sonore. L’utilisation de ce dispositif est attestée du milieu du Moyen-Âge jusqu’au milieu de l’époque moderne, c’est-à-dire sur une période s’étendant du IXe siècle, pour les sites les plus anciens, jusqu’au XVIIe siècle. Cette pratique se retrouve dans des lieux de culte dans toute l’Europe de la France à la Russie en passant par l’Italie jusqu’au Portugal. Au vu de cette grande aire géographique, nous allons nous concentrer essentiellement sur les églises françaises présentant des dispositifs acoustiques constituées de pots acoustiques.

Tout comme les découvreurs du milieu du XIXe siècle, interrogeons-nous sur les effets recherchés et mesurés de ces curiosités architecturales et acoustiques. C’est pourquoi, dans un premier temps, nous présenterons les caractéristiques générales des pots acoustiques ainsi que les principes généraux de l’acoustique des églises. Puis, dans un second temps, nous étudierons les effets souhaités par les contemporains à l’aune des connaissances acoustiques et du déroulement liturgique des cultes. Enfin, les réponses scientifiques sur le sujet au travers des études archéologiques et acoustiques, illustrées par l’exemple de l’église priorale[1] de Pommiers-en-Forez.

  • Caractéristiques des pots et acoustique des églises

Les pots acoustiques sont identifiables dans les églises grâce à un certain nombre de caractéristiques. Premièrement, ils sont repérables par les trous qu’ils laissent dans la maçonnerie intérieure du bâtiment. Ces trous se trouvent en hauteur dans les murs et/ou dans les voûtes de l’édifices. De plus, ils sont généralement disposés sur des schémas géographiques répétitifs dans le chœur, la croisée des transepts, l’abside et/ou la nef de l’église. Lorsqu’on se rapproche du trou ainsi formé, le col du pot en terre cuite affleure et présente une ouverture mesurant près de quelques centimètres à une vingtaine selon le type de pot utilisé. Ainsi, le pot vide ouvert sur l’extérieur est noyé dans la maçonnerie du bâtiment.

Figure 2 – Pot prélevé dans l’église prioriale de Pommiers-en-Forez

L’erreur fréquente dans l’identification des pots acoustiques est l’oubli de ce détail : le pot doit être ouvert avec le col orienté vers l’intérieur du monument. Ainsi, au XIXe et XXe siècle, des archéologues amateurs ont identifié par erreur des poteries entièrement prises dans la maçonnerie des voûtes ou enterrées dans le sol des églises comme étant des vases acoustiques. En réalité, dans le premier cas, l’utilisation de ces poteries permettait d’alléger la structure en élévation en y introduisant du vide. Cette pratique était courante en architecture depuis la période de la Rome antique. Dans le second cas, les poteries dans le sol étaient utilisées à des fins de drainage et d’évacuation de l’humidité, en particulier lorsqu’elles contenaient du charbon de bois. On ne considère donc pas aujourd’hui ces dispositifs architecturaux comme des pots acoustiques.

            L’acoustique des églises est particulière par rapport à d’autres édifices et se caractérise par un long temps de réverbération. Pour qu’un propos soit intelligible dans une église, voici la description des différentes étapes de perception d’un son par un auditeur. En premier lieu, l’auditeur perçoit le son direct. C’est-à-dire, le son qui a parcouru le trajet le plus direct entre l’émetteur et le récepteur ; donc en ligne droite. L’auditeur, qui perçoit seulement le son direct, percevra très peu les graves d’une voix humaine car les fréquences correspondantes sont très atténuées au cours du trajet. Les premières réflexions, qui arrivent entre 40 et 80 millisecondes après le son direct, sont les premiers rebonds du son contre les parois proches de l’émetteur. Ces premières réflexions ne sont pas distinctement perçues par l’auditeur, mais elles complètent le son direct et permettent de rendre intelligible une voix humaine, surtout dans les registres graves. Dans un troisième temps, les réflexions sonores s’intensifient tellement que cela crée un continuum sonore dont l’intensité décroit progressivement dans le temps : c’est la réverbération. Ainsi, en fonction du temps de réverbération et de l’intensité de la réverbération, la perception claire, distincte et intelligible des voix parlées et chantées varie selon le lieu.

Figure 3 – Trajet direct et réflexions. Quand un musicien joue dans une salle, le son se propage à travers toute la salle, une partie atteignant directement l’auditeur, mais la plus grande partie se réfléchissant sur les parois de la salle : l’auditeur reçoit d’abord le son direct de l’instrument, puis celui qui se réfléchit sur l’une ou l’autre des parois, puis sur plusieurs parois, ect. (d’après Beranek 1962, p. 27)
Figure 4 – Réflectogramme décrivant l’intensité du son correspondant aux différents trajets de la figure 3, en fonction de leur temps d’arrivée

Les églises ont pour particularité, par leur volume et leur architecture, de ne produire que très peu, voire pas de premières réflexions, mais beaucoup de réverbérations, ce qui rend peu à très peu perceptible l’intelligibilité de la voix parlée. Afin d’influer sur les réflexions du son, le choix des matériaux est très important. Ainsi, les matériaux poreux comme les anciens enduits et les tapisseries absorbent une large bande de fréquence lors de la réflexion, tandis que les matériaux durs comme la pierre lisse et le bois favorisent la réflexion. Mais ces matériaux plus réflectifs absorbent également une petite bande de fréquence définie par leur composition géophysique, leur forme et leur place dans l’édifice. Pour changer significativement le taux de réflexion dans une église, les matériaux absorbants telle que les tapisseries doivent couvrir une grande surface. Ainsi, du fait du peu de surface couverte et l’étroitesse de la bande de fréquence absorbée par les pots acoustiques, l’on peut s’interroger à propos de leur influence sur l’acoustique réelle dans une église.

  • Connaissances acoustiques et liturgie au Moyen-Âge et à l’époque Moderne

Les contemporains de la période où les pots ont été mis en place, au vu de la liturgie et de leurs connaissances acoustiques, s’interrogeaient eux-mêmes sur les effets et l’utilité des poteries acoustiques. Dans les quelques sources textuelles médiévales et modernes qui évoquent le sujet, de manière descriptive ou de manière critique, il ressort que les pots acoustiques sont considérés comme des amplificateurs pour la voix et le chant. Par exemple, dans la chronique des Célestins de Metz datant de 1432, l’auteur décrit les effets attribués aux pots acoustiques et ses doutes face aux réels effets de ceux-ci : 

« […] il fit ordonnoit de mettre les pots au cuer de leglise de seans, portant qu’il avoit vu altepart en aucune église et pensant qu’il y fesoit milleur chanter et que il y resonneroit plus fort. Et y furet mis tuis en ung jour on point tant douvrier quil souffisoit. Mais ie ne seay si on chante miez que on ne fasoit. ». 

De même, en 1665 l’abbé de Saint-Léger écrivait que « […] les chœurs sont accommodés avec des pots dans la voûte et dans les murailles, de sorte que six voix y feront autant de bruit que quarante ailleurs ». L’on perçoit donc une véritable volonté des contemporains de modifier l’acoustique des églises au regard de leurs connaissances acoustiques. Les connaissances acoustiques de la période d’implémentation des poteries acoustiques proviennent de l’antiquité grecque et latine, à propos desquelles on trouve déjà des mentions de pots acoustiques. En effet, les notions d’acoustiques sont abordées entre autres dans deux traités : Problemata d’Aristote et De architectura de Vitruve. Vitruve, dans le livre V, décrit l’acoustique des théâtres antiques et évoque des êcheiai (ἠχεῖαι). Les êcheiai sont des vases d’airain placés dans des niches des théâtres grecques afin de servir de caisse de résonance et d’amplificateur dans le but de diffuser les voix des comédiens et le son des instruments. De plus, Vitruve évoque l’utilisation de pots en terre cuite à des fins acoustiques dans certains édifices, comme des temples et des théâtres. Cette pratique a dû être conservée dans l’empire romain d’Orient et à sa suite l’empire byzantin. En effet, des pots acoustiques ont été identifiés dans d’anciens bains en Turquie, tandis que les plus anciens vestiges de pots acoustiques dans un contexte religieux proviennent d’églises du début du IXesiècle en Croatie. En Europe occidentale, la pratique dans les édifices religieux est très minime dans le courant du IXsiècle, mais se développe et se répand à partir du Xe-XIsiècle. L’utilisation des pots acoustiques disparait progressivement au cours du XVIIsiècle parallèlement au développement de la science acoustique.

            Ainsi, l’utilisation des pots comme résonateurs dans le contexte religieux peut s’expliquer par les connaissances acoustiques antiques réutilisées et la transmission d’un savoir-faire acoustique intuitif. De plus, le placement des pots en hauteur semble s’appuyer sur les théories aristotéliciennes et vitruviennes qui indiquent que les voix s’élèvent. Mais le positionnement des pots au sein de l’église s’explique aussi d’un point de vue liturgique. Effectivement, la liturgie chrétienne au Moyen-Âge est basée sur l’expérience sensorielle et en premier lieu par le biais de l’audition. Le chant occupe une place très importante car il incarne la notion d’harmonie, qui est centrale dans la théologie et la liturgie. Le chant représente alors la recherche d’harmonie entre les hommes et Dieu ainsi que l’organisation de la Création. Lors des célébrations, la psalmodie et la cantillation des psaumes ainsi que le chant de l’ordinaire de messe et des heures canoniques occupent une place centrale. La recherche de la « tonalité juste » et de la représentation des chants célestes mène à la spécialisation du clergé dans la pratique du chant. Au sein des ordres monastiques, les chœurs sont constitués composés de chanteurs et d’un chantre. Le chœur, le chantre et l’officiant se positionnent à la croisée du transept de l’église ainsi que dans l’abside et le bien dénommée chœur. Ainsi la dimension sonore de la liturgie forme une résonance et un écho au message divin qui est envoyé aux hommes.

  • Ce qu’en dit la science

            Au sujet des pots acoustiques, différentes études archéologiques et acoustiques ont été menées dans plusieurs pays européens avec en France une étude mêlant principalement les deux disciplines. Afin de rendre compte de la méthodologie de l’étude statistique réalisée par l’équipe de Bénédicte Palazao-Bertholon (archéologue) et de Jean-Christophe Valière (acousticien), nous nous pencherons sur l’exemple de l’église prioriale de Pommiers-en-Forez. 

Nous avons démontré précédemment que la mise en place des pots résultait d’une volonté de correction acoustique consistant à amplifier ou rendre plus intelligible la voix parlée et chantée. Pour cela, l’on doit agir sur la diffusion et la réflexion des fréquences sonores dans laquelle la voix humaine est la plus forte mais la moins intelligible du fait de la réverbération induite par l’architecture des églises. Le volume le plus élevé de la voix humaine, que l’on emploie habituellement dans les édifices religieux pour prendre la parole en public ou pour chanter, se situe entre 60 à 65 dB et correspond à une hauteur de son comprise entre 100 et 500 Hz. Les poteries agissent comme des résonateurs de Helmholtz qui sont caractérisés par une fréquence de résonance précise. Du fait qu’ils entrent en résonance, ils amplifient alors cette fréquence et la diffuse dans toutes les directions, mais sur une courte distance. L’étude statistique cherche alors à déterminer le contexte de placement des pots ainsi que leurs fréquences de résonance afin de comprendre leur incidence sur l’acoustique.

Figure 5 – Pommiers-en-Forez, église prioriale, plan et organisation spatiale (J.-F. Grange-Chavanis, ACMH, C. Roux 2007, p.64)

L’église romane est adossée au prieuré et mesure 33 mètres de long pour 15 mètres de large. Elle date de la seconde moitié du XIe siècle et les 29 pots acoustiques auraient été installés dans la voûte à la fin du même siècle ou au début du siècle suivant. Les pots acoustiques sont placés dans la voute du vaisseau central de la dernière travée de la nef. Ils sont situés à une hauteur moyenne de 10 mètres au-dessus du sol et se répartissent en deux groupements de 14 et 15 pots, disposés de manière presque symétrique de part et d’autre de la voûte. Ils sont ainsi situés devant l’autel et symbolisent également la limite du chœur liturgique dans lequel se tenaient les moines. Il y a deux types de pots, tous de forme arrondie avec un fond bombé, dont certains ont 18 centimètres de diamètre au col, et les autres 14 centimètres. Ces pots sont caractéristiques de la région Rhône-Alpes du XIe au XIIIe siècle. (cf. figure 2)

Pour effectuer les mesures acoustiques sur les pots, les chercheurs utilisent une perche télescopique équipée d’un micro et d’une caméra. Afin de déterminer la fréquence de résonance des pots, des claquements de mains répétés et la diffusion d’un bruit blanc balayant toutes les fréquences sont utilisés. La caméra permet d’identifier les différents types de pots et également ceux qui présentent des fêlures ou des éléments obstruant (nid, plâtre…) afin de les exclure, car ils faussent les résultats.

Figure 6 – Bout de la perche télescopique. Trépied articulé par une rotule. Le microphone est au centre et la distance au mur est réglable.

D’après les mesures effectuées, l’église fait 3200 mpour 29 pots acoustiques et les fréquences des deux types de pots ont été mesuré à environ 196 Hz et 250 Hz. Ces fréquences correspondent au médium de la voix chanté et au maximum d’énergie de la voix parlée. L’écart entre les fréquences des deux types de pots est d’environ une quarte. À travers cet exemple et les autres églises étudiées, il ressort que les fréquences de résonance des pots acoustiques se situent entre 100 Hz et 500 Hz correspondant au maximum d’énergie de la voix parlée. Il existe également deux types d’église : les unimodales qui présentent un type de pots acoustiques et les bimodales qui présentent deux types de pots acoustiques comme dans notre exemple.

Figure 7 – Pommiers-en-Forez, église prioriale, vaisseau central de la nef, voûte de la dernière travée avec les pots acoustiques

Dans le second cas, l’écart entre les types de pot se caractérise souvent par une quarte et une quinte. Ces intervalles sont ceux privilégiés dans le chant grégorien, ce qui confirme que les pots ne sont pas choisis au hasard. De plus il a été remarqué que la fréquence de résonance moyenne varie proportionnellement au volume de l’édifice.

Figure 8 – Représentation schématique du spectre à long terme de la parole, pour un locuteur masculin de langue française (J.-Chr. Valière).

Au vu des observations et des mesures réalisées aux travers des différentes études dans les églises et en laboratoires, il ressort trois points. Premièrement, la hauteur à laquelle sont placés les pots semble liée à la hauteur de l’église. Deuxièmement, le nombre de pots augmente en fonction du volume de l’église ainsi que du choix des fréquences de résonance des pots. Ceci porte à croire que les bâtisseurs avaient conscience de l’effet cumulatif des pots et de la modification de la réverbération en fonction du volume de l’édifice. Dernièrement, le choix des poteries semble montrer une volonté d’amplifier ou d’améliorer la compréhension de la voix parlé ou chanté ainsi que de répondre à des objectifs acoustiques et symboliques par l’accord des vases entre la quarte et la quinte.

            Ainsi, l’utilisation de pots acoustiques dans les églises du IXe au XVIIe siècle semble hériter d’une pratique plus ancienne et a pour but d’influer sur l’acoustique des églises. La recherche d’amplification ou d’amélioration de la compréhension de la voix parlée ou chantée par la diminution du temps de réverbération relève de savoirs empiriques et ne résultant pas seulement du hasard. Effectivement, même si les effets de ces dispositifs sont difficiles voire impossible à percevoir auditivement, ils sont souvent pertinents au regard des connaissances acoustiques actuelles, même si trop peu nombreux pour avoir une réelle influence acoustique. De plus, il ne faut pas exclure la dimension symbolique des pots aussi bien dans leur placement, leur accordage que leur dimension théologique et liturgique. Cet axe serait très intéressant à approfondir au regard de la musicologie et de la liturgie, liés à la systématisation des mesures archéométriques des églises présentant des pots acoustiques. Ainsi, l’influence des pots acoustiques sur la résonance dans les églises du Moyen-Âge et de l’époque Moderne n’est pas clairement établie, mais elle reste un champ d’étude à élargir et à faire connaitre au grand public afin de préserver ces étonnants vestiges.

Bibliographie :

BASKEVITCH François, Les représentations de la propagation du son, d’Aristote à l’Encyclopédie [Thèse de doctorat] Nantes, Université de Nantes, 2008.

DESARNAULDS Victor, De l’acoustique des églises en Suisse – Une approche pluridisciplinaire, [Thèse de doctorat] Lausanne, École polytechnique fédérale de Lausanne, 2002.

PALAZZO Éric. Foi et croyance au Moyen Âge. Les médiations liturgiques. Paris, Armand Colin, 1998, p.1131-1154.

PALAZZO-BERTHOLON Bénédicte & VALIÈRE Jean-Christophe (dir.), Archéologie du son. Les dispositifs de pots acoustiques dans les édifices anciens. Paris, Édition Picard, Société Française d’Archéologie, Supplément au Bulletin monumental, 2012.

VALIÈRE Jean-Christophe & PALAZZO-BERTHOLON Bénédicte, Le dispositif acoustique du caveau de la cathédrale de Noyon (Oise). Poitiers, Congrès Français d’Acoustique, 2014.

Sitographie :

DELHAYE Claude, L’énigme des poteries acoustiques [vidéo en ligne], le journal CNRS, 2017 [consulté le 25 mars 2021], 8 min 07 s. Disponible sur : https://lejournal.cnrs.fr/videos/lenigme-des-poteries-acoustiques


[1] Église d’un prieuré

1.2. Expériences d’espaces de concert

Chick Corea – resonance – Pat Metheny à la Karrière (notice de concert), par Arthur Nicolas

La Karrière de Villars-Fontaine et l’association Vill’Art vous présente :

Resonance, par Pat Metheny et Chick Corea.

LE LIEU :

La Karrière de Villars-Fontaine est une ancienne carrière de calcaire, dont la production a été arrêtée en 2003, située proche de Nuit Saint Georges, au sud de Dijon.

Le courage des habitants locaux a permis de nettoyer et sécuriser les 3,2 hectares de terrain afin d’accueillir divers évènements artistiques comme des résidences et expositions de peintures et sculptures ou encore des festivals de musiques, le tout géré par l’association Vill’Art.

LE CONCERT :

Le dialogue entre le piano préparé de Chick Corea et les guitares de Pat Metheny est un voyage entre le jazz, la musique baroque et les musiques du monde, notamment la musique indienne.

Les deux musiciens, légèrement amplifiés, se produiront sur une scène dont trois côtés sur quatre sont des parois de calcaires d’une dizaine de mètre de haut.

Conçu dans un milieu hors norme, ce concert représente une expérience acousmatique pour l’auditeur, une séance de recherche sonore pour les deux musiciens et la découverte d’un espace acoustique spécial.

LES ARTISTES :

Chick Corea est un claviériste américain, pionnier de l’utilisation des claviers électriques, formé entre autres chez Miles Davis. Bien qu’il s’oriente musicalement vers le jazz dont il sera un élément moteur de la création du jazz électrique, du jazz rock et du jazz fusion, il a tout de même suivi une formation classique.  

Cette culture classique ne le quitte pas puisqu’il enregistre des albums classiques et essaye de faire des liens entre cette musique dite « classique » et le jazz, notamment avec l’arrangement de son morceau Spain pour l’Orchestre philarmonique de Londres ou avec son Concerto n°1.

Pat Metheny est un guitariste américain de jazz qui a révolutionné la guitare jazz. Son approche mélodique, rythmique et harmonique a remis et remet encore en question les spécificités du jazz tout en gardant le lien et la continuité avec la tradition jazz du swing et du blues.

S’il révolutionne la guitare jazz, c’est entre autres par son appropriation des différents timbres de la guitare au travers de différentes pédales, différents micros, différents modes de jeu mais également par l’utilisation de différentes guitares dont la guitare Pikasso qui est composée de 4 manches et de 42 cordes.

Il s’intéresse à toutes les évolutions de la musique et a pu collaborer par exemple avec Steve Reich.

ET LA RÉSONANCE DANS TOUT CA ?

Le festival « La Ré Zonance » entre dans le cadre d’une recherche autour de la thématique de la résonance. Ce concert constituera un nouvel exemple des multiplicités de formes que peut prendre le pouvoir de la réverbération.

En effet, le piano bien préparé de Chick Corea repose en tout premier lieu sur l’identification des résonateurs du piano. Il ne s’agit plus d’un piano à queue classique mais d’un nouvel instrument traité avec d’autres timbres et d’autres effets de résonance. En préparant un piano, on modifie la hauteur de la note, la manière dont la corde est attaquée et/ou la manière dont le son se coupe, l’intensité, le timbre et le pouvoir résonant du piano. En plaçant des objets sur les cordes de son piano, Chick Corea baisse la hauteur de la note mais amplifie le son de l’attaque, créant un nouveau timbre et une durée de résonance plus courte.

Quant à Pat Metheny, il accède, avec sa guitare, à cette dimension par l’utilisation de pédales d’effets qui fabriquent artificiellement une résonance, grâce auxquelles il fabrique un espace sonore aux travers de delay, de reverb ou bien d’écho.

Par ailleurs, le mélange des harmonies jazz, connu pour ses extensions d’accords, des harmonies baroques, dont les règles d’écriture sont strictes pour obtenir des moments de tensions et de relâchement au sein même des intervalles, et l’harmonie indienne, offrant un grand nombre de possibilités grâce à l’utilisation de quart de ton et de neuvième de ton, font de ce concert un voyage auditif dont l’histoire est racontée par les frictions entres les notes.

La Karrière amplifiera également la résonance par son acoustique spéciale due aux parois de granite entourant les musiciens et spectateurs. La Karrière sera alors un espace en effervescence, bouillonnant de sons et d’univers.

1.3. Des paysages sonores à l’ambient sous toutes ses formes

Quelques notions… : Le paysage sonore, par Nathan Brunet

Raymond Murray Schafer, compositeur et théoricien, est le premier à développer le concept de « Soundscape » en 1977 dans son ouvrage The tuning of the world (Le paysage sonore). Il y définit le paysage sonore comme l’environnement des sons, ceux-ci provenant du réel (sons naturels) ou de constructions abstraites (compositions musicales, montages sur bande, …).

Selon lui, les paysages sonores font référence au monde intérieur chez l’humain. Murray Schafer cite notamment Wagner en affirmant que « l’œil s’adresse à l’homme extérieur, l’oreille à l’homme intérieur ». Il y a joute également que « l’œil projette vers le dehors, l’oreille attire au-dedans. Elle absorbe l’information. »

Dans son livre Five village soundscapes, R. Murray Schafer va étudier l’environnement sonore de cinq pays d’Europe du Nord (Suède, France, Allemagne, Italie et Ecosse) afin de pouvoir les comparer. Selon ses travaux et ses recherches sur ces différentes régions et leur relation au sonore, R. Murray Schafer déduit que le son permet, au même titre que l’image, de définir une culture.

L’homme est ainsi en interaction perpétuelle avec les sons qui l’entourent et adapte ses coutumes ou son langage en fonction de ces sons. L’éternuement, par exemple, sera exprimé de différentes manières selon le pays dans lequel on se trouve. Alors que les français prononceront « atchoum! », les allemands lui préféreront  « Hatschi! » tandis que les suédois s ‘exclameront pas un « atjoo! ».

Pionnier de l’écologie sonore, R. Murray Schafer met également en garde contre le phénomène de pollution sonore : l’homme, immergé de manière permanente dans un bain sonore, perd sa capacité d’attention et ignore son environnement sonore, la diversité des sons l’entourant.

Quelques notions… : Le Field recording, par Pauline Brette

Le field recording, ou enregistrement sur le terrain, est une pratique apparue dans les années 70. Il s’agit d’enregistrer les sons sans recherche de mise en scène. Ce phénomène est né d’une fuite vers les campagnes, et s’intéresse d’abord au lien entre la nature et le monde animal.

Au contraire de la musique concrète, il y a un refus de modifier les sons. Il s’agit de transmettre ce qui a été enregistré, l’artiste devenant alors le medium de phénomènes naturels, et le paysage sonore une partie préexistante à appréhender comme de la musique.

Certains artistes se considèrent comme des « écologistes du son », comme Hildegard Westerkamp. Sa pièce, Beneath the Forest Floor [Sous le sol de la forêt] est composé de sons enregistrés dans des forêts anciennes de la côte-ouest de la Colombie-Britannique. Le field recording est lié à l’écoute binaurale (le fait d’écouter avec ses deux oreilles) et à la mise en place de la stéréo dans les techniques d’enregistrement. D’ailleurs, lorsque l’on écoute Beneath the Forest Floor, on retrouve bien les sensations d’espace et de relief.

Le field recording s’intéresse aux interrelations entre la nature, le son et la société. Si la nature a été la première source d’enregistrement, les sources se sont peu à peu diversifiées. Les artistes se sont alors intéressés à la nature du point de vue de l’homme, aux différentes cultures, ainsi qu’au milieu urbain et autres zones affectées par l’homme. Le field recording peut ainsi être mis à profit pour établir une cartographie participative du monde dans sa diversité sonore. Par exemple, le site Aporee regroupe une banque de sons alimentée par des personnes enregistrées tout autour du monde.

Cartographie des sons de Lyon (Aporee)

Quelques notions… : La schizophonie, par Lionelle Nouck-Nouck

La notion de schizophonie est définie dans l’œuvre de Murray Schafer, Le paysage sonore, paru en 1977.

Dans son livre, Murray Schafer décrit d’une part les premiers paysages sonores puis les paysages sonores post industriels. Dans la première partie les premiers paysages sonores sont analysés, comme une interaction entre l’homme et son paysage naturel.

C’est au niveau des paysages post industriels qu’intervient le concept de schizophonie. En effet, à la fin du 19e siècle les phonogrammes apparaissent. Ils permettent de garder une trace du son. Il n’y avait alors que l’usage de la mémoire pour conserver le son. Ces techniques d’enregistrement apparaissent et se développent. Elles caractérisent « la révolution électrique ».

C’est à cette période post-industrielle que la mise en boîte propose un son décontextualisé de son origine. C’est la schizophonie. Elle se caractérise par la dissociation du son dans le temps et l’espace, par rapport à son contexte d’origine.

Le fait de pouvoir mettre en boite le son dans un temps donné et de pouvoir l’écouter dans un autre espace provoque cette schizophonie.

La mise en résonance de la ville de Lyon (article), par Lionelle Nouck-Nouck

« Il faut laisser être les sons ». Cette citation de John Cage a fait naître un nouveau rapport au son et à leur résonance. Elle évoque une interaction naturelle qui ne possède aucune forme d’intention par quiconque. Cette citation transcrit une forme de passivité de l’être humain face aux sons qui les entourent : l’idée de résonance réside à la fois dans l’harmonie existant entre les individus, mais aussi dans le lien qui les unit à l’environnement naturel. Ainsi, pour Cage, la musique est une écologie.

Ce concept d’écologie sonore va lancer une lignée de compositeurs. Parmi eux, on retrouve Raymond Murray Schafer, considéré comme le père de l’écologie acoustique, qui développe le concept de paysage sonore. En effet, dans son ouvrage The Book of Noise, il condamne la nuisance sonore en milieu urbain. Il développe leurs aspects nocifs sur les hommes. Il les qualifie même d’« égouts sonores ».

L’exploration sonore de l’espace urbain qui prend en compte l’influence acoustique du son permet la composition d’un paysage sonore. Grâce à ce geste particulier,  Raymond Murray Schafer a conçu de nombreuses œuvres : notamment Music for Widerness, une réalisation sonore crée en 1972, une composition faite pour un ensemble de trombones, enregistrée près d’un lac dans la région de Bandcroft aux États-Unis.

Les travaux de Raymond Murray Schafer restent une référence en ce qui concerne la création de paysages sonores. Le concept de « soundscape »  a été repris par de nombreux artistes. Cette idée révèle deux caractéristiques : d’une part une dimension esthétique liée à l’écoute et d’autre part un caractère physique corroboré au lieu. Les paysages sonores ou « soundscape » s’inscrivent dans l’écologie sonore. Murray Schafer définit cette notion comme « l’étude des influences d’un environnement sonore sur les caractères physique et le comportement des êtres qui l’habitent »

L’exemple du milieu urbain Lyonnais a suscité de nombreuses inspirations. Son paysage sonore révèle le caractère de la ville. L’âme d’une ville, liée aux sons qui entourent. Une ville résonne par ses bruits liés à son espace.

 À travers l’exemple de la capitale des Gaules revisité par des artistes paysagistes sonores, on s’attachera à comprendre comment le paysage sonore d’une ville peut faire l’objet d’une démarche artistique et culturelle.

Voyage au cœur du paysage lyonnais du XIXe siècle

Cette partie a été rédigée à partir du rapport du projet de recherches Bruit et forme urbaine à Lyon au XIXe siècle.

Les chercheurs Olivier Balay et Olivier Faure ont étudié les phénomènes urbains de la ville de Lyon au XIXe siècle. Leur recherche est centrée sur les mécanismes qui traitent de la question du bruit sur le territoire lyonnais à cette époque.

Durant ce siècle, il y a une industrialisation importante en milieu urbain. Les transformations sont engendrées par de nouvelles politiques de la ville dans le but de réaliser de nouveaux aménagements de la cité.

Le processus de recherche s’est effectué en collaboration avec le laboratoire de recherche le CRESSON (Centre de recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement urbain) et le Centre Pierre Léon d’Histoire économique et sociale de l’université Lyon 2.

Pour pouvoir décrire ce paysage sonore, les chercheurs se sont plongés dans les archives afin de définir les sons produits dans la ville de Lyon au XIXe siècle. Certaines rues de la ville connaissent alors de nombreux travaux : la rue Centrale (actuellement la rue de la République) ou encore le quartier Grôlée situé près de la presqu’île. De grands aménagements à grandes envergures s’effectuent à la seconde moitié du siècle. Le préfet Claude-Marius Vaïsse organise de grands travaux avec de nouvelles artères bordées d’élégantes façades et de nouveaux commerces. Ce sont les façades « hausmaniennes ». Il procède à la création de l’Opéra, du Palais de justice. Du Palais de la Bourse et aussi du Parc de la tête d’Or. Les travaux sont considérables.

Pour prendre connaissance de l’ambiance sonore à cette date, Olivier Balay et Olivier Faure se sont basés sur des témoignages. Ils ont analysé les représentations picturales, et ont recueilli des documents dans les archives municipales de la ville de Lyon. On retrouve une collection d’ordonnances de police qui révèle la réglementation urbaine sur l’espace public vers 1850. C’est une nouvelle organisation avec des marchés, l’apparition des foires, les fêtes foraines, les bals et les stationnements pour les premiers véhicules motorisés.

C’est à partir de toutes ces sources que les chercheurs ont pu recueillir différentes informations concernant le paysage sonore lyonnais dans les années 1850. Ils ont constitué un diagnostic acoustique de l’environnement à cette période. Le bruit était alors devenu un litige juridique.

L’apparition de commerces, d’industries et des transports attirent l’attention des autorités locales. En effet, l’insalubrité, les conditions d’hygiène ainsi que le bruit industriel deviennent de nouvelles sources de problèmes à résoudre pour les instances politiques.

On se rend bien compte qu’à cette période, l’industrialisation a engendré une présence sonore importante. On a commencé à voir les prémices d’une nuisance et d’une gêne auditive : une ville sonnante et bruyante par ses grandes modifications de la villes. Les habitants s’habituent à un nouvel environnement sonore, et adoptent alors une nouvelle écoute. D’après le rapport de recherche, « l’urbanisme lyonnais du XIXe a conduit à une évolution lente de l’écoute vers les intensités sonores moyennes, les fréquences graves, l’installation des bruits continus qui ont pris la place, peu à peu, des climats de voix fortes, des activités sonores humaines discontinues, des silences[1]. » Car les activités sonores humaines ne sonnent plus de la même façon depuis l’élargissement des rues. Malgré le début du procès sur le bruit, l’écoute devient indifférente.

Cette démarche scientifique, qui a été mise en valeur par les deux chercheurs Olivier Balay et Olivier Faure, contraste avec l’évolution actuelle du rapport aux sons en milieu urbain. La démarche artistique du paysage sonore mis au goût du jour par des artistes fait naitre une nouvelle relation des citadins lyonnais avec leur ville.

Un collectif de promeneurs écoutant :Les désartsonnants

Ce collectif réunit plusieurs personnes amateurs, curieux et artistes. L’objectif est d’écouter les sons environnants de la ville de Lyon.

Artiste et pédagogue, Gilles Malatray est le créateur de ce projet. Il se définit comme paysagiste sonore et « promeneur écoutant ». Il est né à Lyon et il investit sa ville en créant des paysages sonores lié à la cité.

Pour lui, l’écriture et la composition du paysage sonore sont liées au territoire. Quel que soit le milieu – rural, urbain, un espace naturel, ces lieux sont des espaces sonores qui racontent une histoire. Il met en valeur une démarche de création et une approche esthétique et culturel des sons.

À travers ses promenades sonores, le chef de file du collectif Désartsonnants développe une écoute particulière. Il crée une relation avec sa ville qui résonne avec les êtres qui vivent dans cet espace.

Un lob trotteur comme il se définit, qui montre sa démarche de création dans un espace à partir d’ateliers.

Gilles Malatray développe ce que l’on appelle le parcours audio sensible. On peut le définir comme une balade en collectivité où l’on invite des passants, usagers à se regrouper pour parcourir ensemble un lieu intérieur ou extérieur.

On redécouvre alors une manière d’écouter. On revisite à l’oreille le paysage sonore et le partage des sonorités. On les enregistre. C’est la méthode du Field recording.

Avec Gilles Malatray, ces parcours ont constitué des points d’ouïe. Ces points d’ouïe sont des lieux d’écoute de compositions réalisées à partir de prises de sons de ce même lieu. Les compositions sont réalisées par un montage audio numérique en studio. Ils sont parfois illustrés en vidéo ou encore par des commentaires.

Tous ces points ont été positionnés sur une carte de la ville afin de réaliser une cartographie interactive qui permet d’accéder aux compositions Cette méthode permet de localiser les différentes compositions sonores de la cité des Gaules. Les promenades peuvent générer des démarches de création sonore. À partir de cela, Gilles Malatray développe ce qu’on appelle le geste d’écoute.

Au cœur de ses promenades, le compositeur inaugure aussi de façon spontanée des créations sonores. Durant les balades collectives, on enregistre des sons afin de capter une esthétique, une singularité ou encore une ambiance imprévue. Ces enregistrements sont parfois illustrés par des visuels ou peuvent être détournés. Il s’agit de concerts de paysages sonores improvisés : une façon, en quelque sorte, de redessiner le paysage sonore en direct.

Le site internet les désartsonnants présentela description de paysages sonores sur plusieurs endroits de la ville de Lyon : notamment la réalisation d’un paysage sonore à la gare de Vaise, celle d’un paysage sonore sous le pont Schuman ou encore celle relative au pont qui relie le 4e arrondissement au 9e arrondissement de la ville.

Par ailleurs, cette année, les désartsonnants ont été à la rencontre des étudiants du CFMI de Lyon étudiants en master PTDL .Ils ont réalisé et composé des paysages sonores de la ferme du Vinatier. À partir de captations sonores au sein du Vinatier, ils ont transformé les sons enregistrés en studio d’enregistrement. Puis ils ont restitué leurs œuvres sonores lors d’un concert électroacoustique.

Gilles Malatray s’inscrit comme un artiste de paysage sonore ; il transmet une écoute différente de la ville de Lyon. Il instaure un nouveau rapport au son afin d’apporter une écoute et une esthétique. Cette expérience sonore en milieu naturel met en valeur ce que génèrent les sons en milieu naturel. Il existe une résonance naturelle des sons environnants, un phénomène de vibration dû à la production sonore en milieu urbain. Cette résonance se traduit par l’interaction entre l’écoute des individus et son environnement. Ainsi, les balades auditives nourrissent une harmonie. Gilles Malatray propose dans une démarche artistique une nouvelle rencontre avec l’environnement sonore lyonnais.

 De nouveaux modes de création sonore permettent l’échange entre artistes. Elle se réalisent grâce à des résidences d’artistes. C’est dans ce cadre que Caroline Boé rencontre à Marseille Gilles Malatray.

Une artiste contemporain et artiste-chercheuse Caroline Boé

Caroline Boé est une artiste sonore et compositrice. Elle travaille et vit à Marseille. Elle poursuit sa thèse en tant qu’artiste-chercheuse au CNRS de l’université d’Aix-Marseille.

Sa démarche de recherche et de création s’effectue en même temps dans ses travaux. Elle consacre ses études sur la pollution sonore à l’art relationnel et le web art. Elle a réalisé de nombreuses productions musicales ainsi que des performances.

Elle produit beaucoup de compositions pour des spectacles vivants. Notamment la réalisation de l’album Le conte à rebours en 2004 qui illustre les textes poétiques de jean Pierre Lemesle.

Caroline Boé a conçu de nombreuses installations musicales pour des expositions collectives d’art contemporain, par exemple, en 2019, l’installation sonore sur le thème de l’eau. – au CNRS de Marseille. L’œuvre s’appelle Des gouttes encore des gouttes ! ou Du désir d’écouter l’eau. En 2020 avec Lai Tamara elle réalise The silent Noise. Puis elle réalise un paysage sonore : Paysage sonore du féminisme social.

Pour ses compositions, Caroline Boé s’associe à des artistes de théâtre et de danse afin de réaliser de nombreuses installations musicales destinées à des expositions collectives d’art contemporain. 

Comme Gilles Malatray, elle réalise des ateliers et invite le public à des balades sonores.

Le milieu sonore urbain est une source d’inspiration. Elle réalise sur la ville de Marseille et d’autres villes comme Lyon ou encore New-York des prises de son qu’elle collecte sur son site internet : anthropophony.org

Cette collecte a constitué une banque de sons soigneusement répertoriés par date avec une description du lieu et de l’espace qui est associé à chaque l’enregistrement.

La sonothèque participe à ses recherches en thèse et à ses créations. Cette banque de son est ouverte au grand public : les personnes peuvent importer leurs sons enregistrés afin de contribuer à remplir la bibliothèque. Elle met en valeur ses « sons qui nous envahissent ». Il s’agit donc d’une construction ouverte. Cela permet d’écouter et d’étudier l’esthétique des sons, leur singularité, l’ambiance ; de pouvoir écouter des sonorités sous toute leur forme : en continus à basse ou haute fréquence. Elle propose aussi sur son site le spectre de fréquence des sons enregistrés. Elle cherche à aller au cœur des sons et de leur résonance pour comprendre ce qu’ils expriment dans un contexte et lieu défini. Il s’agit une étude anthropologique du son. Ces compositions sonores cherchent aussi à détourner ces sons, à les transformer.

Pour elle, cette sonothèque représente l’archivage d’une époque.

Car ces bruits qui « dérangent » se sont imposés dans l’environnement. Au fil du temps, l’oreille les a refoulés. Pour elle, c’est réapprendre à les accepter et se les réapproprier. C’est ce processus créatif qui permet une autre écoute des sons dit « envahissants » dans un milieu urbain. Le but est ainsi d’établir une autre perception auditive dans une composition sonore. Cette démarche crée de nouveau un lien avec l’environnement urbain. Ces sons qui ont été repoussés par Murray Schafer, retrouvent alors un sens avec Caroline Boé.

Dans une même démarche Caroline Boé a répertorié chaque lieu d’écoute sur une carte. Ces lieux d’écoute ont été l’objet des balades sonores et d’ateliers. L’artiste a procédé une cartographie des différents points d’écoute et de balades sonores sur la ville de Marseille.

John Cage a su mettre en valeur le lien entre l’environnement et les êtres qui vivent dans un même espace. Ce rapport entre le paysage sonore et les êtres n’est rien d’autre qu’une forme de résonance. Le paysage sonore fait résonner une culture, une histoire et aussi elle suscite la création. Le fait de pouvoir s’approprier un territoire, c’est aussi s’approprier son paysage sonore. La composition sonore d’un espace urbain possède ses caractéristiques propres et culturelles.

Bibliographie

Boé, Caroline (2019-2020),  Ces sons qui nous envahissent. anthropophony.org: https://anthropophony.org/sons.php?ts=C

Faure, Olivier, Baley, Olivier,. (Mars 1992). Lyon au XIXème siècle sur l’environnement sonore et la ville. Lyon: Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement urbain (CRESSON).

Malatray, Gilles (2016, Novembre 11), Point d’ouÏe ,Paysages sonores partagés. www.desartsonnantsbis.com: https://desartsonnantsbis.com/tag/resonance/

Schafer, R. Murray, Paysage sonore : Le monde comme musique, Paris, Wildproject Editions, 2010.


[1] Olivier Balay et Olivier Faure Olivier Balay et Olivier Faure , Rapport de recherche Lyon au XIXe siècle sur l’environnement sonore et la ville  p .5.

Tabula rasa : la rencontre entre Arvo Pärt et Maurice Béjart (dossier de presse), par Éléonore Masson : accès au dossier de presse pdf

Bibio présente Phantom Brickworks (dossier de presse), par Emiliano Germain : accès au dossier de presse pdf

Le Dark Ambient : la nécessité de la résonance ? (article), par Nathan Brunet

Le Dark Ambient : la nécessité de la résonance ?

I – Contextualisation 

Le Dark Ambient est une esthétique musicale trouvant ses origines au début des années 1970 au sein des genres Ambient Music, Black Metal, des musiques industrielles et des musiques bruitistes. 

Les musiciens de groupes tels que Brian Eno, Robert Fripp ou Tangerine Dream sont souvent considérés comme précurseurs du style mais il faudra attendre le début des années 1990 pour que l’esthétique se définisse en tant que telle. Parmi les premières œuvres de référence on peut notamment citer l’album Heresy du musicien gallois Lustmord, pionnier du style, ou encore Selected Ambient Works, Vol2 du compositeur de musique électronique Aphex Twin.

Le compositeur Brian Williams, alias Lustmord – Source : Getcentered

Ce courant musical se caractérise notamment par un travail sur la texture sonore provenant de l’Ambient Music et par l’utilisation de techniques et méthodes de captation issues des musiques bruitistes. Le caractère sombre de l’esthétique Dark Ambient est quant à lui une influence directe de la scène Black Metal.

La résonance telle que la définit le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales peut faire référence à la « faculté de résonner propre à certains objets, à certains milieux » et au « prolongement ou à l’amplification des sons ».

Par quels outils et procédés cette recherche de la prolongation du son se construit t’elle? 

Ecrite au cœur de la démarche des compositeurs de musique Dark Ambient, cette question est posée à chaque stade du processus de création, que ce soit au sujet du choix des instruments, des techniques de captation ou encore au niveau de la post-production.

II – Les instruments de la résonance

Dans un univers musical où l’on cherche à remplir l’espace, le choix des propriétés vibratoires des instruments tient une place prépondérante. La considération des qualités de timbre et le choix des corps sonores est au centre de l’esthétique du Dark Ambient : les projets étant principalement portés par des individualités, les compositeurs multiplient leurs pratiques instrumentales et s’inscrivent dans une démarche d’exploration notamment au travers de la création et de la fabrication de corps sonores originaux.

Vincent Petitjean – Source : This is Darkness

2.1. Les instruments acoustiques 

La place des instruments acoustiques est prépondérante dans le Dark Ambient comme le confirme l’artiste biélorusse Pavel Malyshkin, alias Ugasanie. Les instruments à vent, largement utilisés, possèdent une résonance naturelle que procure le soutien du son par le soufflé. Les matériaux tels que le bois offrant des qualités acoustiques certaines, Pavel Malyshkin utilise de manière abondante différents instruments comme la flûte à bec, le shakuhachi (flûte japonaise) ou encore l’ocarina et le didgeridoo.

Au même titre, l’immense majorité des artistes de la scène Dark Ambient se servent de la voix dans leurs procédés de création. On peut entre autres citer le travail qu’effectue l’artiste parisien Vincent Petitjean, alias Dehn Sora, au sein de son projet Treha Sektori.

Ah Estereh Komh Derah – Treha Sektori (Dehn Sora)

Percussionniste de formation, Will Connor s’intéresse pour sa part aux idiophones. Offrant par définition des qualités vibratoires exceptionnelles, les corps métalliques  tels que les cymbales, les gongs ou encore les bols sont très représentés dans sa musique.  Afin de générer de la résonance, l’artiste anglo-saxon n’hésite pas à adapter ses techniques instrumentales au sein de ses compositions ou lors de phases de création. Il cherche par exemple à provoquer l’excitation de certaines fréquences du spectre en inclinant et en grattant des cymbales : cela lui permet de faire entrer en vibration par sympathie les éléments dont il dispose afin de faire ressortir une palette d’harmoniques et de créer de la résonance. Les vibraphones sont également très plébiscités dans cette esthétique.

L’artiste londonien Will Connor, alias Seesar – Source : This is Darkness

Tout comme le compositeur norvégien Ketil Søraker, alias Taphephobia, de nombreux musiciens utilisent les instruments à cordes frottées. L’archet et les possibilités techniques qu’il offre permettent de tenir les sons de manière prolongée : l’écriture et l’arrangement pour cordes, en élargissant l’espace sonore, sont utilisés de manière récurrente dans la création de textures.

Certains artistes créent leurs propres instruments afin de répondre à une démarche esthétique guidée par des questions de timbre et de résonance. On peut notamment penser au Shipwreck Device créé par l’artiste Pär Boström, instrument issu de l’assemblage d’éléments métalliques frottés à l’aide d’un archet. 

Certains instruments tels que le waterphone sont également appréciés pour leurs qualités acoustiques et l’imaginaire auquel ils renvoient.

Exploration sonore autour du « Shipwreck Device », instrument original créé par l’artiste Pär Boström

2.2. Les instruments électroniques

La place des instruments électroniques est prépondérante : la naissance de la synthèse sonore soustractive dans les années 1960 accompagne les débuts de la musique Ambient. Les synthétiseurs offrent alors de nouvelles possibilités de jeu comme la création de nappes et le travail sur le signal sonore permet de considérer la résonance de manière plus large. Un bouton « résonance » apparaît sur les synthétiseurs et permet, conjointement à l’utilisation d’un filtre, d’augmenter la fréquence vibratoire d’un son produit par l’oscillateur. Cette mise en résonance de certaines fréquences sera utilisée à des fins esthétiques notamment à travers le travail de sound-design.

Pär Boström – Source : This is Darkness

L’enveloppe d’un son s’articule autour de quatre paramètres que sont l’attaque (attack), la chute (decay), le soutien (sustain) et le relâchement (release). Elle se modèle désormais directement sur l’instrument à l’aide de simples boutons et il devient beaucoup plus simple de sculpter cette résonance en coupant et en s’affranchissant de l’attaque d’un son, en augmentant la phase d’entretien, la phase de soutien…

Certains compositeurs de Dark Ambient utilisent ces mêmes procédés de mise en résonance et techniques de modelage offertes par d’autres instruments à oscillateur, à l’instar de Vincent Petitjean et du theremin.

Improvisation sur un synthétiseur MOOG Mother-32

Emblématique des musiques de tradition rock, la guitare électrique est également très présente. Afin de combler le manque de résonance propre aux instruments à cordes pincés, les musiciens utilisent différents procédés tels que les pédales d’effet. On peut notamment citer les habituels effets de réverbération ou de delay mais aussi, à l’instar d’un piano, les pédales de sustain. Ces dernières permettant de faire durer de manière artificielle le son en le séquençant et en créant une boucle.

Le e-bow, archet électronique apparu à la fin des années 1960, permet également de prolonger la durée du son et d’entretenir la résonance des cordes par la production d’un champs électromagnétique. 

Certains artistes comme le bulgare Hristo Gospodinov, alias Shrine, ont cependant préféré abandonner les instruments physiques au profit des possibilités qu’offre le numérique, l’évolution technologique permettant de plus en plus de réalisme et de souplesse dans le travail du son. 

III – Les procédés de création de la résonance

3.1. Techniques de texture, paysages sonores

Parmi les procédés de création musicale les plus utilisés dans le Dark Ambient pour travailler la résonance du son, on retrouve la création de textures et l’utilisation des paysages sonores.

En intégrant des éléments sonores issus de la nature (mer, vent, …), la technique du Field Recording ajoute une dimension organique et réaliste à l’expérience auditive et favorise l’immersion de l’auditeur. Les procédés de création différent selon chaque artiste : certains utilisent des samples provenant de bibliothèques en libre accès ou des enregistrements d’ethno-musicologues, tandis que d’autres font leurs propres captations à l’aide d’enregistreurs de type Tascam ou Zoom.

Captation de Field Recording à l’aide d’un Zoom H5 par Daniil Kazantsev, alias Stuzha

Connu notamment pour son projet musical « Seesar », l’artiste américain Will Connor considère que ces procédés modifient l’esthétique d’une pièce en lui apportant une saveur spécifique. Certains musiciens comme Sasha Puzan, alias protoU, ou Hristo Gospodinov, alias Shrine, vont jusqu’à considérer le Field Recording comme l’essence même du Dark Ambient.

Cependant certains artistes contredisent cette vision : c’est notamment le cas d’Alexander Lesswing, alias Skadi, qui revendique n’utiliser que très peu ces techniques au cours de son processus de création.

Parfois l’écoute des Field Recording permet de révéler et percevoir différentes hauteurs de note : certains artistes comme Sasha Puzan utilisent ces harmoniques comme la base d’un autre outil de résonance dans le Dark Ambient, le drone.

À l’instar du bourdon, le drone se caractérise comme une hauteur statique dans le bas du spectre, dépouillée de toute temporalité. Le musicien va ainsi accorder le contenu harmonique de sa pièce avec les résonances des fréquences naturellement présentes dans ses captations.

Comme évoqué précédemment les synthétiseurs sont des instruments de la résonance dans le Dark Ambient. La fonction « noise » présente sur la plupart des grandes marques de synthéthiseurs analogiques (MOOG, Roland, Korg,…) offre des possibilités de création de résonance : l’utilisation du bruit blanc en tant qu’outils de création de textures est plébiscité par de nombreux artistes du style. Conjointement à l’utilisation des filtres, il est également utilisé pour solliciter et mettre en résonance certaines fréquences du spectre.

Certains compositeurs abordent également cette notion par le choix de captations et de reproductions de l’empreinte acoustique d’un lieu (notamment de caves ou de grottes). 

3.2. La post-production

Le Dark Ambient étant une musique principalement enregistrée, la place de la post-production (editing, mixage et mastering) est primordiale dans le traitement de la résonance. 

Will Connor : « Le Mastering dans un morceau de Dark Ambient est très important. […] Il apporte une unification des sons au travers des équilibres et de la spatialisation ».

La structuration de l’espace sonore au travers des trois dimensions que sont la verticalité (fréquentiel, dynamique et volume), l’horizontalité (panoramiques droits et gauches) et la profondeur (réverbérations et delays) permet de lisser les prises afin d’obtenir cet effet de texture précédemment évoqué.

On retrouve donc systématiquement dans le traitement du son en post-production l’utilisation de compresseurs et d’équalisateurs afin de corriger les pics de fréquences et de dynamiques.

À l’inverse, ces outils peuvent être utilisés pour faire ressortir des éléments du mix : certaines fréquences peuvent être excitées et mises en résonance à l’aide de l’équalisateur. 

Le studio de Par Boström – Source : This is Darkness

Les compositeurs de musique Dark Ambient s’accordent tous sur l’importance de l’utilisation et le travail autour des réverbérations. Outils de la résonance par excellence, les effets de réverbération permettent de modifier le timbre et l’espace sonore. Les pistes instrumentales sont « noyées » à plusieurs reprises dans différentes pédales d’effets ou plug-in numériques afin d’apporter au mixage un aspect éthéré. Chaque son produit est modifié dans sa structure temporelle : la simulation de la réflexion des objets sonores au travers de différents espaces crée de nouvelles résonances. Comme souvent dans les musiques Ambient, ces dernières permettent de remplir l’espace sonore et d’uniformiser la perception des sons.

Seesar : « Je commence à appliquer une réverbération au dessus du mixage pour donner cette impression que tous les éléments proviennent du même environnement ».

Conclusion

La notion de résonance dans le processus créatif entourant la musique Dark Ambientest omniprésente. Elle s’intègre pour les compositeurs à l’intérieur de leur processus créatif (fabrication d’instruments originaux, explorations sonores…), dans leur choix d’instrumentarium mais aussi dans l’approche artistique qu’ils appliquent aux processus techniques notamment de captation et de post-production.

Cependant la place de la résonance serait-elle uniquement musicale ? 

Alors que Brian Eno assumait une vision fonctionnelle des musiques Ambient (Music for Aiport, 1972), quel impact la résonance a-t-elle plus généralement sur notre monde intérieur et que traduit-elle de notre regard sur notre environnement ?

Sitographie

BARNETT Michael, Dark Ambient 101 : Understanding the Technicalities – This is Darkness, 03/2018

SOENEN Marie-Hélène, Dehn Sora – Télérama, 11/2017

2e partie : Résonances organologiques

2.1 Quelques instruments de la résonance…

La voix résonante : anatomie et fonctionnement (article), par Clément Danyach

Introduction

Une conversation pourrait-elle avoir lieu sans la vibration des cordes vocales ? L’identité d’un timbre vocal dépend-elle du système de résonateurs ? Comment agir sur ces résonateurs pour améliorer ou modifier sa voix ? Avant de répondre à ces questions, il est nécessaire de rappeler le fonctionnement de la voix et de certains  principes acoustiques. Nous verrons que le système phonétique dépend grandement des résonateurs et que les priorités de la voix parlée sont différentes de celles de la voix chantée.

Pour finir, j’illustrerai des exemples de résonance avec des styles ou des techniques vocales et m’intéresserai à différents moyens utilisés pour imiter ou synthétiser une voix.

 1    Rappel sur le système vocal

La phoniatre Virginie Woisard-Bassols décrit la voix comme « une transformation d’énergie aérienne en énergie acoustique. Le son produit au niveau de la source (les cordes vocales) est modulé par les phénomènes de résonance[1]. ».

Selon Richard Miller, quatre systèmes dépendants les uns des autres permettent le fonctionnement de la voix. On distingue le système énergique (inspiratoire et expiratoire), le système vibratoire, le système résonateur et le système articulatoire et phonétique.

 1.1  Le système énergique

Le diaphragme, muscle fondamental dans la respiration (cf. figure 1.1), forme une voûte sous les poumons et agit comme un piston. Il permet d’effectuer deux actions : l’inspiration et l’expiration.

Figure 1.1 : Emplacement des organes acteurs dans la respiration

Lors de l’inspiration, le diaphragme se contracte, s’abaisse et entraîne une augmentation du volume des poumons. La pression dans les poumons devient moins importante que la pression atmosphérique et provoque un appel d’air : c’est l’inspiration.

À l’expiration, le diaphragme se relâche, remonte et réduit le volume des poumons ce qui entraîne l’expulsion de l’air via la trachée.

 1.2  Le système vibratoire

À la sortie de la trachée, le larynx est d’abord un organe régulateur de la respiration, obturateur de la trachée lors de la déglutition et en second lieu, l’organe vocal principal. Dans le larynx se trouvent les cordes vocales (cf. figure 1.2) qui agissent comme un clapet souple sur le passage de l’air entre la bouche et les poumons. Lorsque les poumons sont remplis d’air, que les cordes vocales ferment la trachée, que le diaphragme remonte, l’air des poumons est alors mis sous pression dans la trachée. On parle de pression sous glottique. Une légère action sur les cordes vocales permet de libérer l’air sous pression et entraîne la vibration des cordes vocales et de l’air qui s’en échappe. La vibration de l’air crée un son. La hauteur du son émis, de 90 à 120 Hz chez un homme en voix parlée, et de 150 à 300 Hz chez une femme, est liée à la fréquence du cycle d’ouverture et de fermeture des cordes vocales.

Figure 1.2 : Coupe sagittale et coupe frontale du larynx (https://www.arcagy.org/

Le fonctionnement des cordes vocales permet la mise en place de plusieurs mécanismes. Les deux principaux sont le mécanisme lourd (ou registre de poitrine) et le mécanisme léger (ou registre de tête). Le yodel, originaire des pays alpins, est une technique vocale qui use et abuse du passage entre les deux mécanismes.

Le mécanisme lourd

Employé dans les tessitures grave et médium, la voix de poitrine (ou mécanisme lourd) est caractéristique du flamenco, des chants bulgares et de la voix parlée.

Dans les notes graves, les cordes vocales sont larges et charnues, la pression qu’elles subissent est faible et l’amplitude vibratoire est grande.

En produisant des notes plus élevées, la pression augmente, les cordes vocales se raccourcissent en se contractant et le larynx monte dans le cou. Ces phénomènes trouvent vite leurs limites. C’est pour cette raison qu’un autre mécanisme est utilisé pour produire des sons plus aigus.

Le mécanisme léger

Employé dans les tessitures haut médium et aigu, le mécanisme léger (ou voix de tête) est caractéristique du chant grégorien, et très utilisé par les Bee Gees ou le chanteur Mika.

Sous l’action de bascule du cartilage thyroïde, les cordes vocales se font plus minces et vibrent partiellement, réduisant l’amplitude vibratoire. La pression d’air est faible et ne permet pas beaucoup de nuances.

Le mécanisme mixte

Ce mécanisme exploité dans le chant lyrique utilise les deux mécanismes précédents simultanément. La pression est moyenne et constante. La forme des cordes vocales est assez mobile et permet une large palette de nuances.

Quelque soit le mécanisme utilisé, le son produit par les cordes vocales est plutôt de faible intensité, comme la vibration d’une anche, sans système de résonateur.

 2    Le système résonateur

À la sortie des cordes vocales, plusieurs résonateurs enrichissent et amplifient la vibration sonore. La partie supérieure du larynx, au niveau de la glotte, constitue le premier résonateur, puis viennent des cavités de volume variable (cf. figure 2.1) : le pharynx (comportant trois parties) et la bouche et ensuite les fosses nasales et les sinus (cavités indéformables).

Figure 2.1 : Coupe sagittale de tête montrant les différents résonateurs

De manière générale en acoustique,  trois formes différentes de résonance sont possibles : la résonance par réflexion d’onde, la résonance par sympathie et la résonance par conduction.

 2.1  La résonance par réflexion d’onde

Le son se propage dans l’air et se réfléchit sur des surfaces non absorbantes. Un exemple de ce phénomène consiste à tester l’écho d’un son en montagne. Dans un volume fermé (nommé également résonateur) dont les dimensions sont en rapport avec la longueur d’onde d’un son, l’onde réfléchie se superpose à elle-même et le son est amplifié. Le pharynx et la bouche agissent comme des résonateurs en réfléchissant les vibrations sonores du larynx.

Lorsqu’il s’agit d’un son complexe, le résonateur peut amplifier certaines harmoniques. Ce phénomène permet de distinguer différents timbres et de reconnaître le son d’un instrument.

 2.2  La résonance par sympathie

En se propageant, une vibration sonore peut entraîner la vibration d’un corps ou d’une cavité dont la dimension est en rapport avec la longueur d’onde du son initial. Des instruments comme le gamelan indonésien et le tampura utilisent et développent ce phénomène. Le rendu sonore est puissant et rempli aisément l’espace d’une pièce.

Dans le corps humain, les sinus jouent parfois ce rôle. Pour la voix chantée, cette résonance reste cependant secondaire comparée à la précédente.

 2.3  La résonance par conduction

Parallèlement à la propagation aérienne, un corps solide peut conduire un son d’un point à un autre. Dans un instrument à cordes, la table d’harmonie conduit la vibration des cordes vers la caisse de résonance. De la même manière, la vibration laryngée peut être conduite via le squelette dans la tête ou le thorax.

Dans le cas d’une écoute externe, ce phénomène présente une intensité moins importante que les deux résonances précédentes et ne permet pas un enrichissement significatif. Cependant, il influe  sur l’audition de sa propre voix. Les vibrations du crâne entraînent une résonance supplémentaire parfaitement perçue par l’oreille interne. Le timbre vocal  étant déterminé par l’addition de toutes les résonances, la perception interne de notre voix est enrichie par la conduction osseuse et la résonance par sympathie. Cela explique pourquoi certaines personnes ont du mal à reconnaître leur voix enregistrée : elles découvrent leur voix d’un point d’écoute externe avec une résonance différente de l’écoute interne.

 3    Le système phonétique

Le son de la voix est un son complexe composé de fréquences. Dans le domaine de la phonation, la résonance est caractérisée sur le plan acoustique par la présence de formants. Il s’agit de fréquences amplifiées par les cavités de résonance. Lorsqu’un individu prononce la voyelle [a], l’auditeur identifie le son [a] grâce à la perception des formants vocaliques, et il reconnaît l’individu par les formants extra-vocaliques[2].

 3.1  Les formants vocaliques

Les formants sont des multiples exacts de la fréquence la plus basse. Cette dernière est nommée fréquence fondamentale (F0). Pour le résonateur pharyngé on distingue un formant plus grave (F1) que le formant du résonateur buccal (F2). La combinaison de ces deux formants vocaliques constitue le timbre vocalique. Les dimensions variables de la bouche et du pharynx permettent différents timbres vocaliques. Ils sont regroupés dans le triangle vocalique. Ce diagramme (cf. figure 3.1) à peu près identique pour toutes les langues, fait correspondre une voyelle en fonction des formants (F1 et F2). La fréquence du formant F1 s’étend de 250 à 700 Hz tandis que le formant F2 s’échelonne de 700 à 2500 Hz. Ainsi lorsque les cavités de résonance prennent la configuration nécessaire à la production d’une voyelle, le son est reconnaissable sans que les cordes vocales entrent en vibration. C’est ce que l’on perçoit en chuchotant une voyelle. Ces formants vocaliques sont partagés par une large population et permettent une bonne intelligibilité.

Figure 3.1 : Le triangle vocalique des voyelles orales du français

La voix parlée privilégie le rôle des résonateurs pour délivrer une suite de syllabes constituant un message. Les cordes vocales émettent un son pour mettre en vibration les cavités de résonance. Il n’y a pas de contrainte concernant la hauteur de la note et de la fréquence fondamentale.

 3.2  Les formants extra-vocaliques et le formant du chanteur

La voix chantée privilégie le rôle du larynx, émettant la hauteur de note souhaitée d’où découle la fréquence fondamentale. Les résonateurs doivent alors s’adapter pour fournir la meilleure articulation possible sans altérer les qualités esthétiques de la voix. Ces qualités dépendent des formants extra-vocaliques.

Les formants extra-vocaliques sont créés après les premiers formants (F0, F1 et F2) et correspondent aux caractéristiques du conduit vocal de l’individu. Le timbre extra vocalique permet la reconnaissance des individus : c’est la « couleur » de la voix.

La particularité de la voix chantée chez un chanteur formé est en rapport avec le formant du chanteur. Selon Richard Miller, ce formant apparaît aux alentours de 2500 à 3000 Hz chez les hommes, aux alentours de 3200 Hz pour les mezzo et au-dessus de 4000 Hz pour les soprano[3]. Plusieurs hypothèses tentent d’expliquer la présence de ce formant. Il peut s’agir soit d’un regroupement de formants proches en fréquence, soit de l’amplification d’un formant déjà situé dans cette zone de fréquence, soit d’un abaissement du larynx et à un pharynx plus large.

Figure 3.2 : Comparaison en fréquences de la puissance pour un orchestre et pour un ténor

La présence de ce formant permet à une chanteuse ou un chanteur d’être distingué.e par son timbre (et non par sa puissance) au milieu d’un orchestre (cf. figure 3.2). Le niveau d’intensité acoustique d’un orchestre baisse rapidement pour des fréquences supérieures à 500 Hz. La voix chantée présente un premier pic à environ 500 Hz, puis un autre correspondant au formant du chanteur qui donne un avantage sur l’orchestre d’environ 30 décibels.

Cécile Fournier décrit parfaitement l’équilibre à trouver en chantant : « Le chanteur cherche en permanence l’accord le plus parfait entre la fréquence du son laryngé émis dont la hauteur est imposé par la mélodie, et celles des deux résonateurs[4]. » C’est ce qu’on appelle l’accord phono-résonantiel. Quand cet accord est bien réalisé, le rendement vocal est optimal, l’émission vocale est plus facile, la voix a un timbre plus riche et le volume sonore peut être augmenté sans effort.

 4    Différents fonctionnements des résonateurs dans la voix

Après avoir abordé beaucoup d’aspects théoriques, voyons en pratique quels résultats acoustiques sont obtenus en fonction des résonateurs utilisés. Il ne s’agit pas d’aborder tout en détail mais de donner des exemples d’application en agissant sur différents éléments : le larynx, le pharynx, la langue, la mâchoire inférieure, les lèvres et le voile du palais[5].

https://youtu.be/J3TwTb-T044

 4.1  Exemples simples d’application

Un chanteur peu entraîné élève naturellement son larynx au fur et à mesure d’une montée en gamme, ce qui entraîne une réduction du résonateur pharyngé et une élévation du 1er formant. Après s’être exercé, le chanteur maintient une position basse de son larynx pour allonger le résonateur pharyngé et produire un formant F1 plus grave. Il obtient une voix proche du bâillement.

En privilégiant une résonance nasale, nous pouvons produire une voix grinçante que l’on attribue souvent à une sorcière. Cette voix est très sonore et souvent utilisée en échauffement.

La résonance naso-pharyngée est très utilisée dans le chant quand on souhaite chanter « dans le masque ». Les résonances se font ressentir au niveau des pommettes par des sensations de vibrations ou de fourmillements.

Par ailleurs, d’après Guy Cornut, « les études radiologiques montrent que, chez les chanteurs entraînés, l’émission des sons aigus s’accompagne presque toujours d’un abaissement des maxillaires inférieurs. Ce mouvement agrandit la cavité buccale et facilite le maintien du larynx en position basse, ainsi que la détente des muscles pharyngés et le relèvement du voile du palais. Cet agrandissement des deux résonateurs abaisse F1 et F2[6]. »

La position de la langue est également importante. Une langue contractée, en position haute, réduit la cavité buccale et produit un formant F2 plus aigu. Le son est souvent qualifié de « métallique ». À l’inverse, une langue détendue, en position basse, augmente la cavité buccale et produit un formant F2 plus grave. Le son est alors plus riche en harmoniques graves et qualifié de « rond ».

Les lèvres modifient également la qualité de résonance de la voix[7]. Avancer les lèvres dans la position du [u], allonge le résonateur buccal et entraîne une voix plus riche en harmoniques graves. À l’opposé, en tirant les lèvres pour sourire, la voix devient plus brillante.

 4.2  Le chant classique

Un point particulier du chant classique réside dans un mécanisme pour couvrir le son. Au moment de la « couverture du son », le larynx descend, la base de la langue est projetée vers l’avant, le voile du palais se relève de manière importante. Ces mouvements  entraînent  un  agrandissement  de  la  cavité  pharyngée et un abaissement de F1. Le timbre de la voix devient donc plus sombre. Au niveau du larynx lui-même, on note une bascule  vers  l’avant  du  cartilage  thyroïde  qui  provoque un allongement des cordes vocales.

 4.3  Le chant lyrique

En étudiant les formants d’un chanteur d’opéra en voix parlée et en voix chantée (cf. figure 4.3), la phoniatre Virginie Woisard-Bassols met en évidence un abaissement de la fréquence des 4e et 5e formants se situant sous le niveau du 4e formant en voix parlée ainsi que l’aplatissement des courbes en voix chantée dès le 2e formant. Cela induit une homogénéisation de la résonance de ce style de chant et permet également de visualiser comment la distorsion des voyelles peut favoriser l’homogénéité du timbre[8].

Figure 4.3 : Formants des voyelles en voix parlée et chantée (d’après Johan Sundberg)

Johan Sundberg a essayé de trouver le lien entre les modifications des formants et les organes en cause. Il semble que les formants soient abaissés par une diminution de l’ouverture labiale ou un allongement du conduit vocal. L’augmentation des formants est dû à un resserrement du larynx. Le 2e formant est peut-être influencé par la forme de la langue. Le 3e formant semble lié à la position haute de la langue et à sa place dans la bouche. Les 4e et 5e formants sont en lien avec la longueur du conduit vocal et à la configuration de la profondeur du larynx[9].

 4.4  Le belting

Aretha Franklin ou Freddie Mercury sont des figures emblématiques du belting. Emmanuelle Trinquesse décrit le belting comme « une technique vocale qui consiste entre autres à une augmentation de l’ambitus vocal en mécanisme lourd. Un timbre particulier lui est associé, celui-ci est décrit comme dur, brillant ou puissant, il se rapproche de la voix parlée projetée ou encore d’un cri maîtrisé. Des caractéristiques physiologiques très différentes de celles rencontrées dans le chant lyrique occidental lui sont par ailleurs propres. Entre autre signalons que le larynx reste en position haute, que certains muscles intrinsèques de ce dernier sont en forte contraction, que les cavités de résonance sont réduites en taille et apparaissent plutôt horizontales et qu’une pression sous glottique importante semble indispensable à cette émission vocale[10]. »Elle rappelle également que cette technique n’est pas sans danger si cette pratique n’est pas bien encadrée.

 4.5  Le chant diphonique

Tran Quang Haï décrit ce style vocal, répandu autour du mont d’Altaï en Asie[11] : « Cette voix se caractérise par l’émission conjointe de deux sons, l’un dit “son fondamental” ou “bourdon”, qui est tenu à la même hauteur tout le temps d’une expiration, pendant que l’autre, dit “son harmonique” (qui est l’un des harmoniques naturels du son fondamental)  varie  au  gré  du  chanteur.  Ce  son  harmonique a un timbre proche de celui de la flûte ou de celui de la guimbarde ». Guy Cornut précise : « Le son fondamental est émis par les cordes vocales, de  préférence  sur  une  fréquence  basse  (…). Le son aigu est produit par les résonateurs et correspond à un renforcement précis de certains harmoniques grâce à des positions particulières des cavités de résonance. Le plus souvent la pointe de la langue est maintenue dans la position de la consonne [l] tout en essayant de prononcer les voyelles [i] ou [u]. Le chanteur peut faire varier ce son harmonique en modifiant la configuration des résonateurs,  ce  qui  lui  permet  de  monter  la  gamme  ou  de chanter une mélodie avec le son harmonique tout en conservant le même son fondamental laryngé[12]. »

Tran Quang Haï a passé beaucoup de temps à développer cette technique vocale. Cela l’a conduit à expérimenter des nouvelles formes : la mélodie est conduite par le son fondamental tandis que le son harmonique maintien un bourdon (inversement du principe initial du chant diphonique). Il croise la mélodie du son harmonique et celle du son fondamental et explore le chant triphonique. Il a réussi à créer des sous-fondamentaux (F-2, F-3). Il utilise certaines particularités de ce chant à des fins thérapeutiques. Dans le cadre d’une rééducation de la voix suite à un cancer de la gorge, il va solliciter le patient à utiliser une voix pharyngée car la voix laryngée n’est plus possible[13].

 4.6  Imiter une voix

Comment certaines personnes arrivent-elles à imiter la voix d’une autre personne ? Les imitateurs ne changent pas de voix mais ils déforment ou sculptent leur voix. Ils effectuent un travail d’écoute de la personne à imiter pour déterminer une base vocale et une prosodie. Ensuite ils repèrent le vocabulaire utilisé et les tics de langage. Certains imitateurs vont jusqu’à mimer et caricaturer les expressions faciales et les gestuelles.

La base vocale est obtenue en privilégiant certains résonateurs. La modification des lieux de résonance entraîne des variations dans le timbre d’une voix (cf. 4.1). Quand les résonateurs délivrent le son souhaité, il reste à adopter la bonne prosodie : les fréquences fondamentales utilisées et la vitesse à laquelle le discours est énoncé.

Le chercheur Peter Birkholz a effectué des recherches sur la synthèse vocale articulatoire.  Son logiciel VocalTractLab (VTL) est un outil pour visualiser et explorer le mécanisme de production de la parole en ce qui concerne l’articulation, l’acoustique et le contrôle. Il permet entre autres d’analyser la relation entre l’articulation et l’acoustique du conduit vocal et de synthétiser des voyelles à partir d’un ensemble arbitraire de formants[14].

Par ailleurs, deux scientifiques asiatiques ont créé une maquette du conduit vocal humain avec des cavités souples[15]. Il est possible de générer une vibration dans le larynx synthétique et d’agir sur les parois souples et sur la position de la langue synthétique pour modifier le volume des cavités et les formants vocaliques.

En France, Céline Chabot-Canet (IRCAM et Université Lumière-Lyon 2), Luc Ardaillon (IRCAM) et Axel Roebel (IRCAM) ont analysé le style vocal de la chanteuse Édith Piaf, pour modéliser une synthèse de chant expressif. Ils ont d’abord identifié trois niveaux de références à définir dans l’écoute d’un enregistrement : ce qui relève de la partition, puis ce qui relève du style musical et enfin ce qui relève du style vocal de l’artiste. Si le travail sur la partition ne pose pas de problèmes, la démarche de définition des styles musicaux présente beaucoup plus de difficultés. Ils ont donc choisi une interprète particulièrement emblématique d’un style pour modéliser son style vocal. En étudiant diverses interprétations (de la même artiste) de trois chansons différentes, un inventaire des effets vocaux est établi en fonction du contexte mélodique. Un arbre à contextes est alors constitué pour intégrer des règles au synthétiseur. Ce dernier a pour but de transformer une partition MIDI (renseignant la hauteur des notes et leur durée) en fichier audio modélisant l’interprétation d’Édith Piaf de la partition en question. Il s’agit donc de synthétiser la parole (comme le logiciel VTL) à la manière de l’artiste et d’intégrer les nombreuses modélisations des fréquences fondamentales, du vibrato, des sustain, des attaques, des transitions, des release répondant à l’arbre à contextes. Le travail de recherche est considérable et les résultats sont disponibles sur internet[16].

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Conclusion

Ce tour d’horizon sur la voix résonante permet de mettre en relation certains phénomènes de résonances avec des aspects anatomiques et acoustiques. La voix est un outil complexe lié à notre morphologie, notre personnalité. Elle est un support essentiel pour la parole et indispensable pour exprimer nos émotions. Comme la voix pour la parole, la musique est un support essentiel pour les émotions. Lors d’un concert, la musique et le chant d’un.e artiste font-ils vibrer des spectateurs au même moment ? Si les mêmes émotions sont partagées par plusieurs personnes, peut-on parler de résonance émotionnelle ? Comment cela est-il possible ?

Bibliographie

CORNUT, Guy et coll., Moyens d’investigation et pédagogie de la voix chantée, Lyon, Symétrie, 2001.

CORNUT, Guy, La voix, Lyon, Presses Universitaires de France, 2009.

FAIN, Gérald, De la parole au chant, qu’est-ce que la voix ? Paris, Le Pommier,  2007.

FONTENEAU, Adeline, A la recherche de l’apprentissage du chant : crimes et indices, LyonMémoire Cefedem Rhône-Alpes, 2008

FOURNIER, Cécile, La voix, un art et un métier, Chambéry, Comp’act,  1999.

LÉOTHAUD, Gilles, Classification universelle des types de techniques vocales – Musiques une encyclopédie pour le XXIe siècle sous la direction de Jean-Jacques Nattiez. Actes Sud/Cité de la musique

MILLER, Richard, La structure du chant, Paris, Cité de la musique,  2007.

PATA, Hervé, La technique vocale, tout simplement, Paris, Eyrolles,  2009.

RABY, Johanne, Chanter de tout son corps, Paris, Éditions Berger,  2020.

SUNDBERG, Johan, The science of the singing voice, Northern Illinois university press : Dekalb, Illinois, 1987.

TOMATIS, Alfred, L’oreille et la voix, Paris,Robert Laffont, 2001.

Articles

Chabot-Canet Céline, Ardaillon Luc, Roebel Axel, « Analyse du style vocal et modélisation pour la synthèse de chant expressif : l’exemple d’Édith Piaf », Volume!, 2020/1-2 (16:2-17:1), p. 63-85. DOI : 10.4000/volume.8268.

URL : https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-volume-2020-1-page-63.htm

extraits audios : http://musicolyon.fr/volume/#c

Trinquesse Emmanuelle, « État des connaissances sur la technique vocale du belting », Revue de l’association française des professeurs de chant. Juillet 2009

Henrich Bernardoni Nathalie, « La voix timbrée dans les chansons : considérations physiologiques et acoustiques », Volume!, 2020/1-2 (16:2-17:1), p. 49-61. DOI : 10.4000/volume.8063. URL : https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-volume-2020-1-page-49.htm

Birkholz Peter, « Modeling consonant-vowel coarticulation for articulatory speech synthesis.» PLoS ONE, 8(4): e60603. doi:10.1371/journal.pone.0060603 (2013)

https://www.researchgate.net/publication/236277674_Modeling_Consonant-Vowel_Coarticulation_for_Articulatory_Speech_Synthesis

Satoru Fujita, Kiyoshi Honda, « An experimental study of acoustic characteristics of hypopharyngeal cavities using vocal tract solid models », Acoustical Science and Technology, 2005, Volume 26, Issue 4, Pages 353-357, Released July 01, 2005, Online ISSN 1347-5177, Print ISSN 1346-3969, https://doi.org/10.1250/ast.26.353, https://www.jstage.jst.go.jp/article/ast/26/4/26_4_353/_article/-char/en,

Médiagraphie

Le rôle du larynx dans la phonation : https://youtu.be/ZVIxVgPgIpA

Comment le son de la voix se forme-t-il ? (C’est pas sorcier) :

le fonctionnement des cordes vocales :

IRM du chanteur Tyley Ross effectuant le même passage de Nessun dorma avec 4 styles différents :         https://youtu.be/J3TwTb-T044

Tutoriel du chant diphonique

Utilisation de la résonance dans la pratique de la guimbarde :

Vocal tract model synthesis: démonstration d’un pharynx synthétique reproduisant différentes voyelles :         https://youtu.be/wR41CRbIjV4

Chaîne youtube de l’imitateur Superflame, proposant des tutoriels pour imiter des voix

https://www.youtube.com/c/superflameur/search?query=vox%20populi

imitation de la trompette à la voix

Michaël Gregorio imite un solo guitare

WaveNet (Deepmind)https://deepmind.com/blog/article/wavenet-generative-model-raw-audio


[1]Guy Cornut (éd.), Moyens d’investigation et pédagogie de la voix chantée, Lyon, Symétrie, 2001, p. 34.

[2]https://youtu.be/wR41CRbIjV4 Démonstration de voyelles synthétisées à l’aide de prothèses 3D

[3] Richard Miller, La structure du chant, Paris, Cité de la musique,  2007, p. 60.

[4] Cécile Fournier, La voix, un art et un métier, Comp’act,  1999, p. 94.

[5]IRM du chanteur Tyley Ross effectuant le même passage de Nessun dorma avec 4 styles différents : https://youtu.be/J3TwTb-T044

[6]Guy Cornut, La voix, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 93.

[7]https://youtu.be/gtaJoddGHrk?t=657

[8]Virginie Woisard-Bassols, Moyens d’investigation et pédagogie de la voix chantée, Lyon, Symétrie, 2001, p. 54.

[9]Johan Sundberg, The science of the singing voice, Dekalb, Illinois, Northern Illinois university press, 1987.

[10]Emmanuelle Trinquesse, « État des connaissances de la technique vocale du belting », Revue de l’association française des professeurs de chant, Juillet 2009, p. 5.

[11]Tran Quang Haï, Moyens d’investigation et pédagogie de la voix chantée, Lyon, Symétrie, 2001, p. 117.

[12]Guy Cornut, op. cit., p. 77.

[13]https://youtu.be/OnXBOCBmmTU?t=706

[14]https://vocaltractlab.de/index.php?page=vocaltractlab-examples

[15]Satoru Fujita, Kiyoshi Honda, « An experimental study of acoustic characteristics of hypopharyngeal cavities using vocal tract solid models », Acoustical Science and Technology, 2005, Volume 26, Issue 4, Pages 353-357, Released July 01, 2005, Online ISSN 1347-5177, Print ISSN 1346-3969, https://doi.org/10.1250/ast.26.353 https://www.jstage.jst.go.jp/article/ast/26/4/26_4_353/_article/

[16]Chabot-Canet Céline, Ardaillon Luc, Roebel Axel, « Analyse du style vocal et modélisation pour la synthèse de chant expressif : l’exemple d’Édith Piaf », Volume!, 2020/1-2 (16:2-17:1), p. 63-85. DOI : 10.4000/volume.8268.

URL : https://www-cairn-info.bibelec.univ-lyon2.fr/revue-volume-2020-1-page-63.htm

extraits audios : http://musicolyon.fr/volume/#c

Keith Jarett – The Köln Concert (notice de concert), par Paul Baillieux

Keith Jarrett – The Köln concert
Une re-création dans la salle Molière de Lyon

Qui est Keith Jarrett ?

Keith Jarrett (né le 8 Mai 1945) est un pianiste de jazz et de musique classique américain, et un compositeur[1]. C’est un artiste accompli ayant investi beaucoup de genres musicaux différents (musique classique occidentale, gospel, blues, folk, trio jazz, standards de jazz…). Jeune prodige, pianiste dès 3 ans, il joue en concert dès 7 ans, interprétant des œuvres classiques ainsi que ses propres compositions[2]. Sa longue carrière prend son envol entre les années 1960 et 1970 durant lesquelles il collabore avec d’éminents jazzmen tels que Art Blakey, Charles Lloyd et Miles Davis2, et s’inscrit dans le mouvement du free-jazz. Il mène parallèlement à sa carrière de jazz une carrière de compositeur et interprète de musique classique, comme en témoigne sa discographie chez ECM Records[3].

Un soliste entier et rayonnant

Keith Jarrett est l’auteur d’un solo entièrement improvisé de piano à Cologne (Allemagne) le 24 Janvier 1975, qui fut enregistré et devint album solo best-seller mondial de 3.5 millions d’exemplaires[4]. S’il n’est pas le premier pianiste à pratiquer l’improvisation en solo (Cecil Taylor, Charles Mingus, Thelonious Monk l’avaient déjà fait avant lui[5]), il en est devenu une figure emblématique grâce à ce concert, probablement par le fait que son contenu musical, largement harmonique, rythmique et modal est accessible au grand public.

Jarrett propose des concerts en solo très particuliers. En arrivant sur scène il ne sait généralement pas ce qu’il va jouer : il puise son inspiration dans le silence du public. Puis, installé devant son piano, il se lance : il explore un thème jusqu’à en trouver la quintessence. Il pratique alors une forme de transe, s’impliquant corporellement (des fois en dansant devant son piano !) jusqu’à ne faire qu’un avec son instrument. Il est entièrement traversé et habité par la musique qu’il joue. On l’entend d’ailleurs régulièrement mêler sa voix au piano, ce qui lui permet de s’impliquer davantage et ce qui témoigne de sa concentration extrême mais aussi de son lâcher-prise.

pochette de l’album du Köln concert

Atmosphère et temps suspendus

La première partie du concert de Jarrett (et dans une moindre mesure sa deuxième partie) est particulièrement emplie de résonance. Celle-ci apparaît dès les premières notes : Keith Jarrett propose un premier thème très aérien, utilisant la pédale forte tout en tenant ses notes, avec un accompagnement de basse, lent. L’atmosphère et le temps semblent déjà suspendus. Le silence du public et la réverbération dans la salle de concert participent aussi au son. L’évolution lente de la mélodie, s’égrenant autour des accords originels, prend place. Les phrases suivantes sont tantôt grandioses, tantôt douces et délicates et teintées de notes blues. Puis les ostinatos (de basses) vibrent enfin au sein du piano et dans tout l’auditoire. Le travail, notamment rythmique, de la main gauche, est particulièrement impressionnant. Keith Jarrett prolonge ensuite ses idées de manière très fluide, en explorant son thème et ses rythmes, d’une façon très virtuose et fulgurante, sans un semblant d’hésitation, proposant différentes facettes et des mouvements bien distincts, jusqu’à obtenir une pièce – un vrai enchantement – de plusieurs dizaines de minutes. Un concert unique et exceptionnel à revivre dans la Salle Molière de Lyon.


[1]Colin, Larkin (ed.), The Virgin Encyclopedia of Popular Music, Virgin Books, 1997, p. 666/7.

[2]Ian, Carr,  Keith Jarrett: The Man and His Music in New York: Da Capo, 1992

[3]https://www.ecmrecords.com/artists/1435045745/keith-jarrett

[4]Da Fonseca-Wollheim, « A jazz night to remember » in The Wall Street Journal, 11 octobre 2008

[5]Joachim-Ernst, Berendt « Le grand livre du jazz de New Orleans jusqu’au jazz rock», Rocher, 1986

Le célesta dans la Danse de la fée Dragée (notice de concert), par Clara Planus

Danse de la fée Dragée / Casse-noisette

Composé par Piotr ilitch Tchaïkovski en 1891-1892 et chorégraphié par Lev Ivanov, le ballet-féerie Casse-noisette est inspiré du conte Casse-noisette et le Roi des souris d’Ernst Theodor Amadeus Hoffmann publié en 1816. L’œuvre a été présentée pour la première fois à Saint Pétersbourg le 18 décembre 1892. Il comprend 2 actes, 3 tableaux et 15 scènes.  

Court résumé de l’œuvre : Clara, une jeune fille, reçoit comme cadeau de Noël un casse-noisette en bois en forme de soldat. Pendant le réveillon, elle se dispute avec son frère Fritz et son nouveau jouet se casse. C’est alors que son oncle Drosselmeyer le répare avec magie. À minuit, Clara se lève pour retrouver son nouvel ami le casse-noisette, elle découvre les jouets s’animer et les souris s’agiter. Elle essaie de fuir, mais les souris l’en empêchent, le casse-noisette se réveille et combat le roi des souris. Après sa victoire il se transforme en prince et emmène Clara dans le Royaume fantastique des friandises. Ils sont accueillis par la Fée Dragée et le Prince Orgeat qui organisent une grande fête pour leurs arrivées. De nombreux numéros de danse se succèdent dont la Danse de la fée Dragée à l’acte II.

Pendant environ deux minutes, nous découvrons la fée Dragée danser seule pour Clara et le Casse-Noisette. La musique commence par une introduction jouée en pizzicatos par les cordes. Le thème principal est alors dévoilé au célesta, ponctué par la clarinette basse. Il dialogue ensuite avec d’autres instruments à vent comme le basson, le cor et le cor anglais.     

Ça résonne chez vous ?

L’orchestre de Casse-noisette possède des instruments qui ont un pouvoir de résonance plus ou moins fort. Tout d’abord, les instruments à vents et à cordes, par leur mode de transitoire d’attaque, ne possèdent pas une résonance particulièrement forte. Leurs sons se répandent grâce au soutien et au maintien qui leur sont donnés par l’instrumentiste.

Mais lorsque les cordes jouent en pizzicatos, le transitoire de soutien disparaît au profit des seuls transitoires d’attaque et d’extinction. Les pizzicatos ont un pouvoir de résonance très fort car l’attaque est énergique, la vibration est donc puissante. L’effet de groupe des instruments à cordes amplifie également la résonance grâce au décalage d’attaque inévitable de quelques microsecondes des pizzicatos.

Les notes graves, jouées par la clarinette basse en réponse au célesta, élargissent l’espace comme créant une résonance supplémentaire.

Enfin, le célesta, évidemment, comme tous les instruments à percussions, est un instrument résonant puisqu’en impactant ses lamelles métalliques, la résonance est imparable.

Par ailleurs, la lenteur du thème initial favorise l’impression de résonance.

L’amplitude des mouvements des danseurs peut pareillement imager le phénomène de résonance. Par exemple, les battements de jambes de la danseuse simulent le phénomène d’attaque puis d’ondulation et donc de résonance.

Zoom sur le célesta

Tchaïkovski ajoute à l’orchestre symphonique traditionnel cet instrument qu’il découvre lors d’un de ces voyages à Paris. Inventé en 1886 par le français Auguste-Victor Mustel, on pourrait croire qu’il était destiné à être inauguré dans le ballet Casse-Noisette. Il s’agit d’un instrument à percussion muni d’un clavier comprenant 4 à 5 octaves, c’est un mélange entre le glockenspiel et le piano. Les marteaux actionnés par les touches du clavier frappent des lamelles métalliques.

        

2.2. Des résonances comme empreintes culturelles

De Puro Cepero, 60 años de Arte y de Duende (notice de concert), par Maxime Fandos : accès à la notice pdf

Résonance à chœur ouvert : le Mystère des voix bulgares (notice de concert), par Louis Midelet

Festival Résonance

Résonance à chœur ouvert : Le Mystère des Voix Bulgares

Cheffe de Chœur : Dora Hristova CHORISTES : Elena Bojkova, Violeta Eftimova, Gergana Kostadinova, Daniela Stoichkova, Diyana Dimitrova, Elizabet Yaneva, Maria Leshkova, Violeta Spasova, Silvia Vladimirova, Sofia Yaneva, Ruslana Asparuhova, Evguenia Miloucheva, Dafinka Damyanova, Elichka Krastanova

Gadulka : Hristina Beleva
Guitare : Petar Milanov
Percussions : Dimitar Semov
Direction artistique : Petar Dundakov

La Genèse du Mystère

C’est à l’aube des années 1950, dans une Bulgarie en partie dépossédée de son identité nationale par le régime soviétique, que Philip Koutev – compositeur et arrangeur bulgare – fonde le Bulgarian State Télévision Female Vocal Choir. Ce chœur a cappella, composé exclusivement de femmes, a tout d’abord eu pour mission d’enregistrer, pour la radio puis pour la télévision bulgare, des arrangements pour plusieurs voix des musiques traditionnelles et chants populaires bulgares. Initialement impulsé par un désir de retrouver et d’affirmer une identité culturelle bulgare, le chœur vit un essor marquant, paradoxalement soutenu et poussé par le pouvoir communiste qui y voit l’occasion d’éduquer les masses.

En 1972, Marcel Cellier, un ethnomusicologue et producteur musical suisse découvre le chœur. Saisi par la beauté des chants, la virtuosité des chanteuses et la singularité des polyphonies, il enregistre en 1975 le premier opus du Mystère des Voix Bulgares.

Le 2e volume, édité en 1987 sur le label anglais 4AD, rencontre un vif succès et remporte le Grammy Award du meilleur enregistrement de musique traditionnelle en 1990.

Peu après la chute de l’U.R.S.S., le financement du chœur par la radio-télévision publique bulgare se trouve compromis et celui-ci disparaît du devant de la scène.

Trente ans après son succès planétaire, c’est un label indépendant d’Europe centrale, Schubert Music Publishing, qui donne finalement au Mystère des Voix Bulgares les moyens d’enregistrer un nouvel album : BooCheMish.

Entre tradition et modernité

La signature musicale du groupe est un chant puissant qui envahit l’espace grâce, d’une part, aux harmonies créées par différentes combinaisons de voix, et d’autre part à une technique vocale particulière qui se transmet de génération en génération. « Ce chant qui vient de la gorge, du larynx, ça ne s’enseigne pas, il faut être né avec » explique Dora Hristova.

À l’origine, ces chants interprétés dans les régions rurales de Bulgarie, accompagnaient les différents évènements de la vie quotidienne.

l serait pourtant hasardeux de résumer le Mystère des Voix Bulgares à un répertoire des thèmes traditionnels et des chants populaires. Les arrangements qu’en a faits Philip Koutev marient des éléments traditionnels avec des formes musicales et des harmonies modernes et contemporaines d’Europe de l’Ouest. Les chants bulgares étaient bien souvent monodiques. Koutev y apporte la polyphonie dans un style caractérisé par la diaphonie et la dissonance, l’échelle modale et le rythme syncopé.

Un chœur à part

« On dit qu’il y a résonance lorsqu’un corps, soumis à l’influence d’un autre corps en vibration, entre lui-même en vibration ». Cette phrase de Robert Tanner nous donne à elle seule le sens de la présence du Mystère des Voix Bulgares dans cette édition du festival Résonance. Tout ce qui constitue cette expérience unique parait nous faire entrer en vibration.

Les arrangements de Philip Koutev, qui font la part belle à la tension et aux dissonances par l’utilisation d’intervalles de 2nde, de 9e et de 7e, révèlent des propriétés acoustiques de la résonance auxquelles seuls les instruments manufacturés nous ont habitué. Ces intervalles, portés par des voix aux timbres similaires et une technique vocale commune maîtrisée, résonnent à des fréquences vibratoires si proches que le son du chœur s’en trouve amplifié et enrichi de manière spectaculaire. L’intensité générée par les oscillations des fréquences vocales laisse entendre des harmoniques si puissantes qu’il nous semble presque percevoir une seule et même prodigieuse voix. L’énergie dégagée par les harmonies envoûtantes du « Mystère » se réverbère aussi bien dans la salle d’écoute que sur les corps de l’auditoire qui se fait, le temps d’un concert, l’écho de ces chants pénétrants. La résonance devient alors intérieure, presque intime, et ce sont les histoires que portent les voix qui viennent à leur tour résonner au plus profond du cœur et de l’esprit des spectateurs.

C’est sobrement accompagné et dirigé par la cheffe de chœur Dora Hristova que le Mystère des Voix Bulgares présentera, à l’occasion de l’édition 2021 du festival Résonance, les chants qui firent son succès d’hier et son renouveau d’aujourd’hui.

« On croit entendre la liturgie de mythologies antiques, si anciennes qu’elles n’existent peut-être que dans l’imagination. » – Viavoxproduction

« Une alliance de pittoresque et d’universel, un mélange parfait d’archaïsme et de nouveauté musicale. » Agnès Gayraud – Libération

« Ce répertoire millénaire transmis dans le cadre familial a pris un coup de jeune. Sur disque, le mélange du belcanto et des dissonances bulgares réinvente une liturgie sorcière des plus grisantes » Anne Berthod – Télérama Sortir (TTT)

« Étonnante polyphonie, une musique singulière qui ne ressemble à rien d’autre, une musique rare » Mishka Assayas – France Inter (Mai 2018)

« Le Mystère des Voix Bulgares repart en ballades » – L’Express (Mai 2018)

« Sur une instrumentation des plus sobres les chants s’entremêlent en couche sublime. Le mystère est toujours aussi fascinant » – Philippe Richard-Ouest France (Septembre 2018)

« Bulgarian Sons », Pour le plaisir de chanter… (notice de concert), par Aymeric Cernize

« Bulgarian Song »

Pour le plaisir de chanter …

Le groupe « Le Mystère des voix bulgares » est fondé en 1952 par le compositeur Filip Kutev.

Alliant répertoire traditionnel et arrangements modernes, le groupe se voit attribuer un Grammy Award du meilleur album folk traditionnel. Le chœur est composé de vingt femmes choisies pour leur clarté de voix. Il est actuellement dirigé par Dora Hristova, cheffe d’orchestre née en 1947 ayant était formée à l’Académie Nationale de Sofia.

Alliant répertoire traditionnel et arrangements modernes, le groupe se voit attribuer un Grammy Award du meilleur album folk traditionnel. Le chœur est composé de vingt femmes choisies pour leur clarté de voix. Il est actuellement dirigé par Dora Hristova, cheffe d’orchestre née en 1947 ayant était formée à l’Académie Nationale de Sofia.

            « La signature du groupe, c’est un chant puissant qui envahit l’espace grâce aux harmonies créées par différentes combinaisons des voix. Un son qui semble venir d’un autre monde » – La Croix (Août 2018).  

Entre monodie et polyphonie

Le groupe nous propose un voyage immersif grâce à une suite de chants a cappella. Sofia la capitale du pays est un berceau de la polyphonie, car en Bulgarie le chant est souvent abordé de manière monodique.

Néanmoins, nous pouvons observer plusieurs types de configurations mélodiques: la polyphonie et la monodie comme indiqué ci-dessus, il existe également des formes hétérophoniques. Ces dernières consistent à chanter la même mélodie mais en créant des variations de timbre et de léger décalage. Ainsi, nous pouvons entendre des intervalles de coma entre les chanteuses qui façonnent ce son bien spécifique des Balkans.

Parfois, une femme sort du rang pour venir devant la scène et ainsi remplir la salle d’une voix pleine et puissante. C’est elle que l’on nomme, « Pesnopoïka », cette femme soliste qui traditionnellement chante pendant les cérémonies, les mariages et les récoltes.

Une résonance très palpable

 Le chant bulgare joue sur les contrastes rythmiques, notes tenues ou très courtes,comme le ferait un instrument à percussion. Les intervalles de seconde, de septième et de neuvième, vont créer des battements dans l’air pour nous procurer la sensation de  plusieurs frappes venant directement secouer nos tympans. En effet les intervalles précédemment nommées génèrent entres eux des effets de diaphonie, phénomène où une voix va venir interférer le signal d’une autre voix en suivant le sillon de la seconde de façon identique mais décalée, procurant des vibrations plus fortes. Les chanteuses utilisent uniquement leur voix de poitrine, afin de produire un son plein. Elle s’oppose à la voix de fausset plus fluette et moins puissante.

La résonance devient alors physique, palpable. L’espace se charge de sons multiples venant à un certain moment à saturation. L’air vibre tout autour de nous.      

Quelques notions… : la Tampura, par Clément Lamy

La tampura est un instrument de musique à cordes pincées. Cet instrument qui s’apparente au luth se retrouve dans différentes cultures des Balkans jusqu’au sous-continent indien. Il prend donc des formes diverses et s’orthographie de manière tout aussi variée. Prenons ici comme exemple la tampura indienne qui possède une forte résonance.

En effet, l’instrument comporte une grande caisse de résonance à sa base, surmontée par un manche creux qui ne comporte pas de frette. Sur le manche, il y a 4 à 6 cordes qui sont reliées à la caisse de résonance par une table d’harmonie en bois.

Le joueur de tampura pose l’instrument sur sa cuisse et égrène les cordes d’une main. Ainsi, les cordes jouées à vide en arpège résonnent avec les autres. La résonance est entretenue dans les corps creux de l’instrument. De plus, un fil de soie est intercalé entre les cordes et le chevalet, provoquant le son « buzz » caractéristique de la tampura.

C’est donc un instrument harmonique non mélodique qui crée un continuum sonore. Ces nappes sonores permettent d’accompagner les chanteurs et les instrumentistes.

La musique persane : le duo Erfân (notice de concert), par Loïc Gros

Le duo
Le duo Erfân est formé de Sarvenaz Khodayari au kamancheh (instrument à cordes frottées) et David Bruley au tombak, au daf et au dayereh (percussions traditionnelles). Leur répertoire est composé de pièces de musique savante et régionale iranienne accompagnées de lecture de poèmes persans.

Sarvenaz est une jeune instrumentiste Iranienne arrivée en France il y a peu. Elle a commencé le kamancheh il y a une douzaine d’années dans une école de musique, puis s’est perfectionnée auprès d’un maître, Ardeshir Kamkar.

Sarvenaz est une jeune instrumentiste Iranienne arrivée en France il y a peu. Elle a commencé le kamancheh il y a une douzaine d’années dans une école de musique, puis s’est perfectionnée auprès d’un maître, Ardeshir Kamkar.

David s’est formé aux percussions classiques et contemporaines dans différents conservatoires des régions Bourgogne et Rhône-Alpes. Il se passionne pour les musiques traditionnelles orientales et se forme auprès de plusieurs maîtres lors de différents séjours en Iran. Ces voyages lui ont permis de faire des rencontres décisives pour sa compréhension de la culture persane en générale, de développer sa technique aux instruments, et de comprendre toutes les subtilités de la musique savante Iranienne.

Des instruments vibrants
La résonance est présente partout dans la musique persane. En effet les instruments utilisés possèdent un fort pouvoir résonant. Beaucoup sont réalisés à partir de matières naturelles (bois, peau d’animaux) laissant le son libre de ses mouvements.
Le chant persan utilise des techniques particulières, appelées tahrir, bolboli, ou encore tchaqoshi.

Le tahrir consiste à attaquer une note avec un coup de glotte, le tout en utilisant une appoggiature, en général d’une quinte. Cette approche de la note crée une résonance originale.
Le tchaqoshi est le nom utilisé pour parler du coup de glotte.
Le bolboli est un autre nom pour tahrir, il est employé pour préciser la vitesse d’exécution (plus rapide). Bolboli signifie également “rossignol”. Le Rossignol dans le chant persan est une métaphore employée pour désigner un bon chanteur.

Les instruments
Arrêtons-nous un instant sur les instruments utilisés.

Tout d’abord le kamancheh : à cordes frottées, c’est d’ailleurs le seul instrument de cette famille, utilisé dans la musique traditionnelle iranienne. Il a vu le jour au XVe siècle en Perse (l’actuel Iran). À l’origine les cordes étaient faites de soie et au nombre de trois. Aujourd’hui on utilise des cordes de violon et une corde supplémentaire a été ajoutée.

Le tombak est la principale percussion d’accompagnement de la musique savante iranienne. Il a une forme de calice et est fabriqué d’une seule pièce de bois, taillé directement dans le tronc. La peau utilisée est en général de chèvre ou alors de veau.


Le dayereh et le daf sont des tambours sur cadre ornementés de petits anneaux à l’intérieur. Ceux-ci vibrent lorsque la peau rentre en vibration, créant alors une résonance particulière. Le daf est plus grand que le dayereh, il a également plus d’anneaux. Ces anneaux peuvent entrer en contact avec la peau et offrent donc la possibilité de faire résonner celle-ci d’une manière différente, créant des harmoniques autres que si l’on ne jouait qu’avec les doigts.

2.3. Résonances amplifiées

Quelques notions… : L’Effet Doppler, par Emiliano Germain

L’effet Doppler est le phénomène selon lequel, lorsqu’une source sonore est en mouvement et que la personne écoutante est immobile, la hauteur du son perçu change.

Le son émis par un source en mouvement semble plus ou moins aigu selon la vitesse à laquelle il se rapproche, et plus ou moins grave, selon la vitesse à laquelle il s’éloigne.

C’est par exemple l’effet Doppler qui fait que la sirène d’une ambulance semble plus aiguë lorsque celle-ci se rapproche et plus grave lorsqu’elle s’éloigne. Ci-dessous, on peut observer que, parce que la source est en mouvement, les ondes qu’elle laisse derrière elle sont plus étirées, donc plus graves, et celles qu’elle émet vers l’avant sont plus serrées, donc plus aiguës.

Rejouer Jimi Hendrix, résonance et engagement (dossier de presse), par Alison Berthet : accès au dossier de presse pdf

3e partie : Résonance vs arts numériques ?

La résonance dans la musique actuelle populaire (article), par Emiline Juilleret Cointet

La résonance dans la musique actuelle populaire.

Commençons par définir les termes principaux composant ma problématique. La résonance est une rencontre entre deux corps, une rencontre vibratoire. Par ailleurs, en plus d’être le continuum imprévisible et inévitable de l’œuvre, la résonance est considérée comme un transitoire d’extinction.  Elle reste donc la plupart du temps induite même si au fil du temps elle devient un matériel utilisé comme objet central de l’œuvre et non plus comme transitoire d’extinction. Cette résonance prenant définitivement fin en laissant sa place au silence, il paraît alors intéressant d’étudier le rapport entre résonance et silence. Celui-ci est-il considéré comme un vide ou comme une partie de la résonance ? C’est une question qui paraît très intéressante notamment quand elle se rapporte la musique populaire actuelle. D’après Alain Vanier, dans son ouvrage, La musique c’est du bruit qui pense, « en Musique le silence sert à séparer les sons », je dirais même à les préparer. L’étude et l’utilisation du silence en terme de résonance ne sont pas nouvelles. En effet «pour les musicologues le silence a pris, à partir du XIXe siècle une valeur particulière ». Il paraît évident que la résonance et le silence ont toujours existé dans la musique ; c’est pourquoi Alain Vanier nous incite à nous intéresser à la Sonate n° 32 de Beethoven qui est appelée communément le prélude au silence. La résonance et le silence semblent ainsi empreint d’une douceur qui viendrait se briser avec les 4’33’’ de John Cage en 1952.

Sur le site Culture 41, l’expression « musique actuelle » « caractérise et regroupe les différents styles musicaux de la fin du XXe siècle, début du XXIe siècle ». Sur Wikipédia par exemple nous apprenons que ce terme désigne « certaines musiques utilisant des amplificateurs ». Cependant, la musique actuelle est beaucoup plus vaste, tous n’en utilisent pas. Ici nous nous intéresserons aux productions musicales du XXIe siècle et plus précisément à celles de l’année 2021.. 

Pour préciser cette définition très floue de la « musique actuelle », il est nécessaire de définir le mot populaire (celui-ci étant dans ce cas relié à la musique). La définition la plus simple et la plus éloquente qu’il m’a été donné de trouver et celle de Vikidia, « la musique populaire est une musique écoutée par un large public ».

Mais intéressons-nous à la question que nous évoquons dans le titre : où en sont la résonance et son silence de nos jours ? C’est en écoutant des « tendances YouTube » que je me suis aperçue de sa très maigre présence. Alors pourquoi la résonance semble-t-elle avoir été abandonnée ?

I) La place de la résonance au sein de la musique actuelle populaire

Avant de répondre à cette question, je voudrais citer Julie Vaquié Manson : « Les problématiques qui sont rattachées à l’analyse des musiques populaires actuelles se débarrassent de la légitimité accordée ou non à ces musiques ». Ainsi, nous ne jugerons pas la « qualité musicale » de ces musiques mais seulement la place de la résonance au sein de celles-ci.

1.1. Une résonance délaissée ?

Avec la mondialisation et les moyens numériques, il semble que la recherche sonore dans les musiques actuelles s’uniformise. En effet, de nos jours l’ordinateur et le matériel de MAO ont rendu accessible au grand public la production musicale. Les logiciels gratuits et payants sont nombreux et ceux-ci sont riches en séquences sonores et sons midi. Ces outils informatiques sont-ils la sources de l’homogénéisation des esthétiques ? 

La faute est peut-être due aussi à une industrie de la musique qui se « machinise » et où tout semble devoir aller vite. Le temps de la réflexion, de la recherche, de l’innovation qui fait la différence n’est pas toujours pris. Cette accélération du processus aurait-elle impacté l’apport de silence et de résonance, phénomènes qui se déroule dans le temps, dans une forme de passivité? Tout doit être optimisé. La musique doit être assez courte pour être entendue en entier, le temps n’est plus à la recherche et à la liberté du son mais à la musique comestible.

Les technologies d’aujourd’hui permettent aussi d’écouter de la musique partout et à n’importe quelle heure, elle n’est plus simplement diffusée via le spectacle vivant. Comme le dit François Delalande « Toutes les musiques populaires actuelles sont électroacoustiques : que ce soit sur scène où en studio, que les sources soient la voix ou des instruments amplifiés, des synthétiseurs, des échantillonneurs ou des tourne-disques, elles ont toutes en commun d’aboutir, après traitements électroniques divers, sur un ‘‘transformateur électro-acoustique’’, c’est-à-dire un haut-parleur. » La destination finale de la musique a changé et la façon de l’écrire et de la partager s’est adaptée à cette destination. 

En la faisant aboutir sur des haut-parleurs, l’oeuvre musicale est toujours dirigée vers l’ouïe mais abandonne la vue, son interprétation « visuelle » ; sa mise en scène disparaît.  Le silence, la résonance étendue sont des éléments qui sont d’autant plus appréciables quand ils sont proposés et vécus par des musiciens. Quel est l’intérêt du silence faisant suite à la résonance si celui-ci ne semble issu que d’un haut-parleur ?

Aujourd’hui la musique nous accompagne à chaque minute de notre vie. Sur les plateformes audio comme Deezer ou Spotify, on nous submerge de propositions musicales et notre avis sur une œuvre se crée en quelques secondes. La musique doit alors être pensée comme une bande-annonce. Il faut que le receveur apprécie rapidement pour réécouter. Ce mode de distribution de la musique pourrait-il influencer son  processus de création ?

C’est peut être ce qu’illustre Julie Vaquié-Mansion dans son  article « Analyse des silences dans les musiques populaires actuelles » : «L’analyse musicologique des musiques populaires actuelles, qui commence à se développer, est problématique et nécessite une nouvelle approche musicologique. Les musiques actuelles possèdent d’une part des paramètres technologiques apparus au XXe siècle (enregistrement, effets sonores…) qui ne sont pas notables par les outils d’analyse de la musicologie classique ; d’autre part, ces musiques sont ancrées dans une société, ce qui nécessite de prendre en compte les paramètres sociologiques qui leur sont liés (économie, médiation, réception…) . »

Ainsi, les musiques actuelles sont ancrées dans une société aux « paramètres technologiques et sociologiques » nouveaux.    

1.2. Un mode de production musical en tort ?

J’ai pu échanger avec un producteur et régisseur son dans le spectacle vivant, Gabriel, issu d’un studio lyonnais. 

Cet échange m’a permis de mieux comprendre une partie de la création de la musique actuelle populaire. Tout au long de son entretien il parlera des groupes et musiciens qu’il a pu accueillir et enregistrer au sein du studio.

Gabriel a commencé par s’exprimer sur l’homogénéisation de la musique actuelle populaire. C’est au sein même de son travail qu’il se rend compte de plus en plus souvent, que les beat et les sons choisis ont tous un point commun : une sonorité grave. Il les a définis comme des « kicks (grosse caisse) qui tapent », autrement dit une pulsation grave et très percussive tout au long du morceau. D’après lui cette tendance amène les artistes à rechercher sans le savoir une forme de résonance résidant dans le grave.

Il a ensuite tenu à préciser que même si cela pouvait être appelé résonance, celle-ci n’est quasiment jamais suivi d’un silence. Ainsi, en plus de cette absence de silence, la résonance est mécanique et non naturelle car elle est créée grâce à des haut-parleurs.

Gabriel a alors répondu à mon questionnement sur la société qui va trop vite, la notion de musique « comestible », responsables selon moi de la disparition de la résonance. À ma question sur le temps d’une session d’enregistrement d’un artiste de passage, non résident du studio, il m’a répondu que l’artiste passait deux à quatre heures dans la cabine pour enregistrer. Son explication fut très simple, « ce fonctionnement est propre au rap, il faut aller super vite, il faut que ce soit efficace. On délaisse la partie personnelle et artistique pour aller plus vite, avoir des écoutes plus rapidement. ». Le temps passé en studio est donc très court et paraît complètement insuffisant pour explorer et prendre le temps de découvrir les possibilités s’offrant à l’artiste. Néanmoins, certains artistes (qu’ils soient rappeurs où non) viennent plus longuement et prennent plaisir à profiter de la qualité d’un studio pro.

Mais alors si la recherche et l’exploitation de la résonance ne sont pas présentes dans l’enregistrement, qu’en est-il de la place de la résonance et du silence dans les prods (piste audio instrumentale) amenées par les artistes ? Trouver une réponse à cette question semble difficile car le régisseur n’a pas son mot à dire sur ces fichiers sons. Au niveau du mixage, la recherche sonore est très maigre. Durant les enregistrements, le régisseur ne dispose pas d’assez de temps ; les artistes qui enregistrent ne ressentent souvent aucune envie ou besoin de se lancer dans cette recherche. Pour Gabriel, le problème semble donc venir de la volonté de reproduire ce que les musiciens de passage écoutent et connaissent. Il m’a expliqué qu’il n’y avait pas ou peu de résonance naturelle ou construite dans ce qu’il entendait. 

Néanmoins, avec l’accord de l’artiste, il arrive parfois à Gabriel de rajouter de la résonance pour alléger le morceau, au moyen du delay ou de la reverb. Mais le silence semble absent. Il se résume seulement au retrait de fréquences graves et de kicks

Plus précisément, le jeu de filtre qui ôte la résonance du grave permet d’annoncer un refrain plus animé. C’est avec ironie que Gabriel me dit que le jeu de filtre qui imite un faux silence supprime ce qui est finalement la seule trace de résonance audible et ressentie…

Si Gabriel ne semble pas avoir de marge de recherche et de création en tant que régisseur, il en a beaucoup plus en tant que producteur. Comment les sons et instruments qui composent une prod sont-ils choisis ? II y a deux types de compositeurs (beat maker), à ne pas confondre. Il y en a certains qui recherchent les sons, les instruments et qui apportent une importance capitale à la personnalisation de la musique ainsi qu’à la recherche sonore. Les autres semblent se contenter de prendre ce qui fonctionne, en essayant de coller le plus possible à ce que l’on peut entendre aujourd’hui, à ce qui marche. Ceci est la preuve d’une véritable homogénéisation de la musique et de son esthétique. Cela n’explique pas totalement l’abandon de la résonance, mais peut expliquer l’absence de recherche de la résonance.

Pour terminer, il a été question de la notion de durée de son. Les artistes en ont-ils conscience où le son est-il toujours coupé avant sa durée maximale? La réponse du régisseur interrogé a été très simple car la plupart des instruments électroniques et des sons midi n’ont pas de résonance. Ils se coupent net quand on arrête de les jouer. Cependant, quand résonance ou effet il y a, la coupe du son est plutôt mécanique. On ne cherche pas à visualiser jusqu’où celui-ci pourrait aller, mais on coupe à la fin de la mesure. « On passe à autre chose, un refrain, un pont, donc on coupe ».

Pourtant, à l’issue de nombreuses écoutes de musiques de rap « populaire », il s’avère que la résonance n’est pas inexistante. Car il est en définition quasiment impossible de couper toute résonance, même de façon volontaire. Quelques résonances naturelles sont tout de même présentes, même si elles semblent toujours coupées rapidement et non étudiées.

II) Une recherche sonore toujours existante

2.1. Une musique de niche toujours en recherche ?

Si on diversifie les répertoires que l’on écoute, on s’aperçoit que la résonance n’a pas totalement disparu de la musique actuelle : il suffit pour cela de ne plus trop regarder du côté de sa tranche populaire. Comme le dit Julie Vaquié-Mansion, l’analyse des musiques actuelles populaires mais aussi sa définition, son classement semblent d’une complexité extrême. Il en existe de nombreux styles, de nombreux genres, tous puisant dans des influences complètement différentes. 

Pourtant, les œuvres musicales sur lesquelles je m’appuierai ici ne peuvent être rangées dans la catégorie populaire de la musique actuelle, mais appartiennent à ce que l’on nomme des musiques « de niche ». Son public est beaucoup plus restreint, et pour rejoindre les paramètres sociologiques évoqués par Julie Vaquié-Mansion, son rapport à l’économie, par exemple, est complètement différent. 

Cette musique n’a pas non plus comme unique but de terminer sur un haut-parleur, comme le précisait Delalande. Sa production et son esthétique finale sont donc très différentes des musiques traitées dans la première partie.

Les ordinateurs et logiciels permettant d’électroniser la musique semblent avoir homogénéisé celle-ci. Mais c’est aussi un nouveau facteur de recherche depuis plusieurs années. Notamment pour la résonance. Celle-ci a toujours été provoquée, subie, ignorée ou développée par des procédés essentiellement naturels. Avec le numérique il devient possible de travailler à l’infini une résonance enregistrée.  

Intéressons-nous à un artiste lyonnais, Gilles Poizat et plus précisément son titre Galet Dérivant(https://cartonrecords.bandcamp.com/album/champignon-flamme).   Sa musique dite expérimentale se fonde principalement sur la création de questions-réponses. Ce dispositif  suit d’ailleurs le modèle des résonances que l’on retrouve avec le compositeur Giovanni Gabrieli et ses Symphonies sacrées qui retentissaient dans la basilique Sainte Marc de Venise, caractéristique pour  ses  deux tribunes. 

Intéressons-nous à un artiste lyonnais, Gilles Poizat et plus précisément son titre Galet Dérivant(https://cartonrecords.bandcamp.com/album/champignon-flamme).   Sa musique dite expérimentale se fonde principalement sur la création de questions-réponses. Ce dispositif  suit d’ailleurs le modèle des résonances que l’on retrouve avec le compositeur Giovanni Gabrieli et ses Symphonies sacrées qui retentissaient dans la basilique Sainte Marc de Venise, caractéristique pour  ses  deux tribunes. 

En écoutant ce titre nous retrouvons le plaisir d’entendre de nombreuses résonances, qui, grâce à l’utilisation d’un synthétiseur modulaire, prennent vie et deviennent « instrument ». Le silence y a sa place, autant en tant que finition de la résonance qu’en tant qu’instrument lui-même. 

Pour étayer mes propos j’ai pu obtenir un cours moment de discussion avec un producteur de Gilles Poizat (Champignon Flamme) qui s’inscrit au sein d’un label de musique expérimentale. La musique de Gilles Poizat, est « une musique électronique expérimentale, alternative » : le producteur a insisté sur l’idée de «musique de recherche ». Ce propos rejoint totalement l’analyse faite au début de cette partie : il reste bien une partie de la musique qui utilise le numérique et les moyens mis à disposition à notre époque pour rechercher et transformer.

2.2. La résonance au service d’un autre art

La résonance se réinvente aussi dans le spectacle vivant et plus précisément dans le théâtre. 

C’est pour la pièce « partons je t’en supplie » de Juliette Mouteau, que Gabriel a pu réaliser une création sonore complètement différente des autres productions qu’il réalise de façon plus commerciale. Il a aussi travaillé en tant que régisseur sur cette pièce. 

Il m’a expliqué que longtemps, pour véhiculer des émotions, l’univers du théâtre avait délaissé le son à la faveur de la lumière. C’est dans cette pièce, à l’aide d’une création sonore et musicale qu’il a pu inverser la tendance. Le lien avec la résonance et la création d’un chaos sonore lui est apparu tout de suite. C’est grâce à de très basses fréquences que sa création faisait entrer en résonance « physique » les éléments du théâtre. Les tuyaux d’aération les bouts de métal, l’environnement tout entier se mettait à vibrer et permettait au public de ressentir la résonance, et non pas seulement de l’entendre. Ceci est la définition même d’une musique de recherche qui met la résonance au service d’autres arts. 

C’est aussi lors d’un calage de système, un montage de système son (montage et placement des enceintes pour que tous le public puisse avoir le meilleur son possible), que la résonance d’une musique prend tout son sens. Gabriel a expliqué que, par exemple pour la musique actuelle populaire, en dehors de faire correspondre le son à un lieu, les fameuses résonances exploitées dans les graves provoquaient une résonance corporelle de l’auditeur. 

Ce n’est ainsi plus l’époque du respect de la source, où le but d’un régisseur était de reproduire le son tel que nous pouvons l’entendre en acoustique. Le but est maintenant de faire vibrer les corps et faire ressentir les résonances mécaniques ou non dans « l’estomac » du public.

Pour conclure

Aujourd’hui avec les moyens mis à notre disposition, (synthétiseurs, pédales, logiciels,  banques de son midi etc), il semblerait que nous n’ayons pu faire qu’un très bref tour de toutes les possibilités de modification, d’exploitation et de conservation de la résonance. Les possibilités semblent alors infinies et certaines laissées à l’abandon. Tout porterait alors à croire que le travail de Cage, ou de Boulez, n’était que le début d’une exploration sonore inépuisable.

Il paraîtrait très simple de se dire qu’avec tous ces outils il n’est que plus facile de travailler sur la résonance. Beaucoup plus facile qu’à l’époque de Beethoven ou la résonance était mise en valeur par des procédés théoriques et d’écriture très complexes.

Peut-être la définition du terme résonance est-elle à revoir. Que ce soit dans la première où la deuxième partie et quel que soit l’artiste concerné, la résonance semble maintenant être mécanique et non plus naturelle. Le moment est peut-être venu d’explorer une nouvelle forme de résonance.

Bibliographie

Articles:

Julie Vaquié-Mansion, « L’analyse des silences dans les musiques populaires actuelles », Volume ! [En ligne], 6 : 1-2, 2008, p 249 à 262, mis en ligne le 15 octobre 2011, consulté le 18 mai 2021.  URL : http://journals.openedition.org/volume/394 ; DOI : https://doi.org/10.4000/volume.394

Alain Vanier, « La musique c’est du bruit qui pense », Insistance, n°6, Érès, 2011, p 13 à 21.

Sites internet: 

Culture 41, http://www.culture41.fr/

Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Accueil_principal

Vikidia, https://fr.vikidia.org/wiki/Vikidia:Accueil

Autres ressources: 

Pièce de théâtre:

Juliette Mouteau, Partons je t’en supplie, 2021, auto-production (pas encore d’édition) 

Piece musicale, lien audio:

Gilles Poizat, Champignon Flamme (2021), Galet dérivant, https://cartonrecords.bandcamp.com/album/champignon-flamme

Arrival 404.0 (notice de concert), par Mathilde Divignat

404.zero est un duo d’artistes qui a pour projet de créer des performances live et des installations audiovisuelles immersives. Ce duo est composé de Kristina Karpysheva, créatrice d’art médiatique*, et de Sasha Letsius, designer audiovisuel. 

Originaire de Russie, les deux artistes ont présenté leurs projets à de nombreux festivals et expositions internationaux en Allemagne, Indonésie, aux États-Unis au Times Square, au Pérou et en Russie au Bolchoï Theatre, au festival MUTECK au Mexique et à Montréal. Ils ont été sélectionnés au Japan Media Arts Festival et récompensés par Génius loci Weimar Festival et IMAPP festival.

On peut retrouver à travers leurs compositions des influences diverses comme Autechre, Tangerine Dream et Sun 0))).

Arrival

Arrival est une expérience immersive qui regroupe lumière, son et espace, mise en scène sous forme de carrés métalliques personnalisés à travers une vision dystopique du duo 404.zero.

À partir d’installations et de créations de contenu visuel, le duo a créé une musique pour accompagner leur travail. Les deux artistes se sont donc plongés dans les synthétiseurs modulaires et le son analogique pour concevoir des drones et une musique ambient.

La musique ambient est définie par la présence de  textures et de nappes sonores. Elle est donc peu mélodique et harmonique. Ce style prend son inspiration dans l’atmosphère et l‘environnement dans lequel on vit.

La dimension sonore, très forte et puissante, est synchronisée avec les lasers et la lumière, produisant une perception multisensorielle pour le public.

404.zero ne revendique rien à travers ses œuvres. Les artistes veulent simplement permettre aux spectateurs d’inventer leur propre histoire et leur définition de l’œuvre.

Leur inspiration est tournée vers les catégories de la mort et de l’inconnu, mais également vers les montagnes, le silence, l’eau, les mathématiques et les voyages à travers le monde.

« L’inconnu inspire à créer et à explorer. L’acceptation de la mort élimine toute peur de la critique et dévalorise complètement tous les objectifs. » Kristina Karpysheva, créatrice du projet 404.zero

L’emplacement de l’installation est d’une très grande importance pour les artistes. C’est la synergie entre l’espace et l’œuvre d’art qui crée le bon environnement, afin que les spectateurs vivent une nouvelle expérience. L’architecture intérieure du lieu dans laquelle l’œuvre est présentée fait autant partie de celle-ci que le reste de la composition. Le lieu solidifie tous les composants, la lumière, le son et l’espace, entre eux.

La résonance entre son et lumière

Cette installation immersive propose plusieurs axes de résonance.

Tout d’abord, le lieu de la représentation est très importante. Il est choisi pour son fort pouvoir de réverbération. En effet, le projet est souvent présenté dans des grands hangars. Les parois accentuent la prolongation de la durée du son et donc créent des échos et une résonance particulière. 

Le choix des fréquences dans la musique est également primordial. Les artistes de 404.zero ont choisi d’utiliser des fréquences extrêmes, graves et aiguës, qui vont procurer une impression de résonance et d’espace car elles favorisent l’émission des harmoniques.

L’utilisation de la lumière dans le projet influe beaucoup sur l’effet de résonance puisqu’elle est synchronisée avec la musique. Le mouvement du son va donc être reproduit par la lumière, ce qui va créer un déplacement de la lumière dans l’espace grâce aux carrés métalliques lumineux, et accentuer le phénomène de percussion sur les parois.

La lumière est stroboscopique, elle est alors en répétition constante et accentue le phénomène d’écho. Elle crée également comme une illusion d’optique. La lumière reste dans les yeux, comme avec les éclairs, ce qui favorise le ressenti de résonance sans passer par le son. L’attaque et l’extinction du son sont donc perçues à la fois par les yeux et les oreilles.

* L’art médiatique fait référence aux œuvres d’art dont la création fait appel à la technologie.


 

Proto : une expérience humanoïde de la résonance avec Holly Herndon (dossier de presse), par Amélie Casail : accès au dossier de presse pdf

Gamelan et musique électronique : Akira de Katsuhiro Ôtomo (notice de concert), par Mélina Cordier

GAMELAN ET MUSIQUE ELECTRONIQUE

Ciné-concert 

Projection de Akira, Katsuhiro Ôtomo (1988)

Live du collectif Geinoh Yamashirogumi : « Tetsuo » extrait de Akira, suite symphonique gamelan, électronique et chœur.

La bande-son « Akira, suite symphonique » fut créée par le collectif japonais Geinoh Yamashirogumi, connu pour son travail qui  allie musique traditionnelle et technologies. Composé de musiciens non professionnels, d’informaticiens, d’ingénieurs, d’universitaires, le groupe a été le premier à mélanger gamelan et musique électronique.

Deux instruments sacrés sont réunis dans cette pièce : le gamelan et l’orgue, dont la résonance hors de l’acoustique naturelle de l’église a été préservée grâce à l’échantillonnage numérique.

Les types de résonance présentes dans la bande-son

La résonance est le phénomène physique du son qui dure bien après que l’instrument a été mis en vibration

– La résonance naturelle : un instrument acoustique possède sa propre résonance naturelle

– La résonance numérique :  Elle est introduite par le biais de l’échantillonnage, calquée sur celle de l’instrument naturel. Cette résonance est stable et uniforme (et dure un temps précis), contrairement à celle – imprévisible – de l’instrument acoustique.

L’effet de résonance peut  modifier totalement le son d’un instrument : si une cymbale reste résonante dans une pièce non réverbérante, une paire de claves – sans résonance propre – le sera encore plus dans une église.

L’exemple de la résonance des percussions dans une salle non résonante

La résonance naturelle du gamelan

« Et si l’on écoute, sans parti pris européen, le charme de leur “percussion”, on est bien obligé de constater que la nôtre n’est qu’un bruit barbare de cirque forain ». Claude Debussy

Le gamelan, du javanais gamel, « tenir », « manipuler », « frapper » ; est un ensemble de percussions javanais et balinais, composé de métallophones, xylophones, gongs, tambours… Dans la religion indo-bouddhique, le gamelan relève de l’univers « premier », un monde enchanté où toute chose est animée par un esprit, celui de la terre, où le volcan est axe du monde.

Le gamelan est construit sur une hiérarchie des gongs conduits par un gong souverain, qui tient le rôle d’axe et de pôle d’attraction. D’après le système modal emprunté à la littérature chantée et mise en scène, le gong serait le soleil, le dieu suprême, à l’image d’une attraction planétaire. Le mot gong désigne une fonction d’ouverture et de fermeture des grands cycles. Le grand gong au sommet de la montagne sonore se caractérise par son registre extrêmement grave. Sa résonance contient tous les autres sons, c’est un repère sonore de fin de cycle. Les gongs ponctuent les phrases musicales et établissent un rapport espace et temps sonore.

Les tambours de bronze, les gongs et les gamelan, fruits du secret des forgerons auxquels on attribue des pouvoirs surnaturels, sont comme les cloches d’église, des éléments du patrimoine, objets de valeur symbolique, voire magique, associés à un lieu, une communauté, à son identité et à son pouvoir. Comme les cloches, les gongs ont été assemblés en carillons. Certains gongs « magiques », dont la vibration est très nette à l’oreille, seraient, selon la légende, inaudibles tant qu’on ne leur a pas présenté les offrandes nécessaires. Les ornements symboliques des métallophones viennent renforcer cette puissance surnaturelle.

Dans la musique javanaise, chaque motif déroulé reçoit sa version opposée et complémentaire, ce qui donne des symétries approximatives, évoquant le « cône volcanique ». On retrouve aussi la représentation de l’ascension de la montagne sacrée avec des cycles qui se resserrent pour arriver au gong ultime. Souvent, la musique jouée au gamelan n’a pas de durée définie ; les cycles sont répétés pour servir une action rituelle, dansée ou théâtrale. Dans la musique sacrée, ils ont pour fonction de freiner la fuite du temps.

La musique du gamelan forme dans l’espace sonore une pyramide de notes : une démultiplication comme sur les branches d’un arbre. Les membres du gamelan sont inséparables comme ceux d’un corps humain.

Le Gameleste : un instrument à fort pouvoir résonant

Le Gameleste est un instrument hybride inventé par la musicienne islandaise Björk, entre le gamelan et le célesta. Dans le cadre d’un projet musical elle a également mis en place un orgue contrôlé électroniquement sur mesure.

La résonance artificielle de l’orgue numérisé

Un instrument numérisé peut être résonant : le son, la vibration et la résonance de l’orgue sont enregistrés grâce au procédé d’échantillonnage. Cela permet ainsi la reproduction de la totalité du phénomène sonore acoustique : le spectre sonore, l’attaque, la longueur et la diminution du son. L’orgue va de cette façon être reproduit hors de son contexte naturel, l’église, qui a sa propre acoustique et mise en résonance.

C’est en quelque sorte, une forme de résonance réintégrée.

Bibliographie

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